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Sans faim, sans fin: quand l’alimentation devient maladie

En 2035, près de la moitié de la population mondiale sera en surpoids ou obèse, à risque de graves problèmes de santé — diabète, hypertension, cancer, troubles musculosquelettiques, etc. Véritable maladie du siècle, l’obésité est aussi au cœur d’enjeux financiers colossaux. Christian Lüscher, neuroscientifique, et Valérie Schwitzgebel endocrinologue spécialiste du diabète, conjuguent leurs expertises pour donner un nouvel éclairage sur ce problème majeur de santé publique. À découvrir le 25 mars dans le cadre des conférences publiques Louis-Jeantet.

Numéro 52 - mars 2025

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Pourquoi mange-t-on? Par besoin, mais aussi par plaisir. Dans le cerveau, deux systèmes principaux contrôlent la prise alimentaire: le système homéostatique, dont la fonction est de maintenir l’équilibre énergétique du corps pour lui permettre de fonctionner, et le système hédonique, lié au plaisir. Habituellement, ces deux systèmes fonctionnent ensemble: un aliment paraîtra plus appétissant lorsque l’on a faim. Mais cet équilibre peut se dérégler. Les mécanismes du système de la récompense impliqués dans la prise alimentaire excessive sont en effet les mêmes que dans les addictions. La suralimentation devient alors compulsive. En cause notamment, le mélange particulièrement explosif de lipides et de sucre. 

«Une expérience chez des souris a montré que face à des aliments gras ou sucrés, elles avaient tendance à manger 30% de calories supplémentaires par rapport à leur alimentation habituelle», détaille , professeur au et directeur du Centre Synapsy de recherche en neurosciences pour la santé mentale de la Faculté de médecine. «Mais lorsque l’on combine les deux, leur consommation calorique explose à 250% de leurs besoins naturels. Or, ce qui est vrai pour les souris l’est aussi pour les êtres humains, ce que l’industrie agro-alimentaire a bien compris.» 

Les prédispositions génétiques existent, mais restent rares

Des milliers de gènes semblent prédisposer à l’obésité. «Il peut même s’agir de la mutation d’un seul gène, par exemple, celui codant pour la leptine, l’hormone régulant l’appétit», indique , professeure au Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique de la Faculté de médecine et médecin responsable de l’Unité d’endocrinologie et de diabétologie pédiatriques des HUG. «Ces enfants ont simplement faim tout le temps, quelle que soit leur prise alimentaire, ce qui conduit très rapidement à une obésité dès la première année de vie. Une mutation sur le gène MC4R, régulateur de l’appétit et de la consommation énergétique, peut aussi mener à une obésité monogénique. Si l’étude de ces mutations permet d’aider les malades et mieux comprendre les mécanismes métaboliques en jeu, ils restent cependant rarissimes. Beaucoup plus fréquemment, l’obésité peut avoir une base polygénique – des centaines de gènes sont concernés – qui s’ajoute à des modifications de mode de vie pour déclencher l’obésité.»

Valérie Schwitzgebel voit dans sa consultation aux HUG une augmentation inquiétante de l’obésité infantile et des diabétiques de type 2 de plus en plus jeunes. «Ce qui était observé aux Etats-Unis il y a une dizaine d’années arrive en Europe. Et dans quelques années, quatre pays au moins seront majoritairement obèses: l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, la Turquie, et la Jordanie. Il ne s’agit donc pas d’une maladie réservée aux pays riches, mais liée à de profondes modifications de mode de vie et à la surabondance des aliments industriels hypertransformés.»

Intervenir sur plusieurs fronts

Pour les médecins, la clé d’une prise en charge efficace consiste d’abord à évaluer la personne et son entourage afin de détecter une éventuelle base génétique, mais surtout comprendre les habitudes de vie, les dimensions psychologiques, ou encore les contraintes matérielles. 

«Il ne faut pas uniquement modifier un élément, mais prendre en compte la personne dans toutes ses dimensions», souligne Valérie Schwitzgebel. «Il faut pouvoir changer tout un système, qui passe par une éducation nutritionnelle et comportementale par exemple, une reprise de l’activité physique, ou encore le recours à des médicaments pour accélérer le processus. Nous sommes typiquement dans un contexte où le sur-mesure médical est indispensable.»

L’aspect culturel et social de l’alimentation reste essentiel: réapprendre à partager les moments où l’on mange tout en limitant la prise alimentaires aux moments des repas  – une habitude en perte de vitesse dans de nombreux pays — constitue ainsi la première étape de la lutte contre l’obésité. D’autres éléments s’y ajoutent, simples en apparence, mais dont l’impact est réel: éviter les boissons sucrées, prendre conscience de ce que l’on mange, si possible sans écrans, ou encore réintroduire de l’activité physique, qui ne fera pas maigrir mais qui renforcera le corps et la musculature.

Au-delà des efforts médicaux, les spécialistes plaident également pour des mesures de santé publique. Etiqueter les boissons sucrées pour mettre en avant leurs dangers comme pour la cigarette ou l’alcool, une mesure dont les premiers tests semblent concluants, favoriser une architecture et un urbanisme moins obésogène en construisant des escaliers facilement accessibles ou en favorisant la mobilité douce. «Malheureusement, la prévention est toujours le parent pauvre des politiques publiques, qui de plus vient à l’encontre de certains intérêts industriels», ajoute Christian Lüscher.

Les analogues du GLP-1 pourraient changer la donne

La prise en charge de l’obésité a-t-elle radicalement changée depuis la mise sur le marché des médicaments dits «agonistes du GLP-1»? «Ces médicaments sont en effet extrêmement efficaces et sont prescrits à des patientes et patients de plus en plus jeunes», souligne Valérie Schwitzgebel. «Cependant, dès leur arrêt, les personnes reprennent du poids si les modifications d’alimentation et de mode de vie ne sont pas poursuivies. Seuls, leur efficacité est donc transitoire. »

Ces médicaments agissent principalement sur le système homéostatique en limitant l’appétit. Mais ont-ils également un effet sur le système de la récompense? «Un projet de recherche est en cours», indique Christian Lüscher. «Il serait en effet intéressant de mieux comprendre les mécanismes cérébraux à l’œuvre sous ce médicament qui a déjà changé la vie de millions de personnes avec une obésité.»

Conférence 

Mardi 25 mars 2025 | 18h30
«Sans faim, sans fin – la prise alimentaire hédonique à l’origine de l’obésité»
Auditoire Louis-Jeantet, Route de Florissant 77, 1206 Genève

Pr Christian LÜSCHER
Département des neurosciences fondamentales & Centre Synapsy de recherche en neurosciences pour la santé mentale

Pre Valérie SCHWITZGEBEL
Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique & Unité d’endocrinologie et de diabétologie pédiatriques, HUG

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