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Photo : Le Centre culturel de rencontre de Fonds Saint-Jacques à Sainte-Marie (Martinique), ancienne habitation du Père Labat dévolue aux arts de la parole
Crédit photo : Soraya de Brégeas
Cette recherche collective veut reprendre une question explorée, d’une part, par les « folkloristes » (écrivains, ethnologues ou historiens), d’autre part, par les études littéraires « francophones » - les rapports entre littérature orale et culture lettrée - mais elle veut le faire à nouveaux frais, en se focalisant sur les situations coloniales et postcoloniales. Nous entendons montrer que la confrontation avec la littérature orale a joué un rôle souterrain, à la fois central et méconnu, dans la double histoire des savoirs et de la création littéraire au XXe siècle. À partir de l’étude de trois corpus d’époques et d’origines variées (Afrique, Amérique du Nord, Antilles), il s’agira de mettre en évidence non seulement les devenirs de la littérature orale dans la culture lettrée, mais aussi les devenirs d’une culture lettrée travaillée par l’oralité. Ce faisant, nous ferons apparaître que les liens entre littérature orale et culture lettrée ne relèvent pas uniquement de rapports de domination, mais doivent également être conçus en termes d’emprunts et de transformations réciproques.
Pour ce faire, nous proposons d’adopter une approche symétrique, qui combine la perspective européenne sur la littérature orale des territoires colonisés et la perspective autochtone sur cette littérature orale ainsi que sur la culture lettrée européenne, en associant approches littéraires et observations ethnographiques. Nous voulons, d’une part, souligner l’importance et la complexité, souvent ignorées, des usages de la littérature orale "indigène" au XXe siècle par la culture lettrée, en mettant en évidence les transactions, traductions, appropriations de la littérature orale à la fois par les ethnologues et par les poètes européens soucieux de nouvelles inspirations. Nous voulons, d’autre part, mettre en lumière la richesse et la variété des usages autochtones des cultures orale et lettrée, ce à partir d’une étude non seulement des textes, mais aussi des pratiques, en articulant les méthodologies des études littéraires et celles de l’anthropologie.
Cette démarche profondément interdisciplinaire prendra appui sur deux champs de recherche jusque-là hétérogènes et qu’elle entend faire dialoguer : les riches études à la fois ethnologiques et littéraires qui, dans les années 1970 et 1980, se sont intéressées à la littérature orale européenne et à l’ambivalence de son intégration à la culture lettrée (intégration qui mêle toujours reconnaissance et exclusion) ; les études « francophones » qui ont investi la tension entre oralité et écriture mais qui tiennent rarement compte de la littérature orale elle-même et des études sur la littérature orale, se privant ainsi du legs d’une histoire déjà longue.
Les chercheur·se·s associé·e·s dans ce projet ont pour point commun d’avoir une connaissance fine de l’histoire de l’anthropologie et de l’héritage des sciences sociales, qui leur permettra de prendre en compte à la fois les formes de la littérature orale elle-même, les formes des appropriations dont elle est l’objet et sa capacité de subversion des partages institués. Leur recherche donnera lieu à une thèse de doctorat bi-disciplinaire, à deux monographies et à un ouvrage collectif. À l’horizon de ce projet, se trouve la volonté de questionner l’historicité du partage entre oral et écrit, son rôle dans l’organisation des savoirs et des disciplines, et ses implications politiques, toujours présentes mais particulièrement sensibles et lisibles en situation coloniale et postcoloniale. C’est aussi notre propre position en tant que chercheur·se·s spécialistes de littérature que cette distribution politique et épistémologique interroge.