Policy Brief mai 2025
INégalités d'accès à la santé et mobilité sur le grand genève, en chiffres
Si les flux de personnes entre la France et la Suisse sur le Grand Genève ne sont plus à démontrer, les mobilités transfrontalières pour raisons de santé sont peu documentées statistiquement sur ce territoire, en particulier pour les personnes vulnérables dans leur accès à la santé.
Une enquête a été réalisée en 2024 dans le cadre de l’Observatoire transfrontalier des inégalités sociales de santé en partenariat avec 10 structures associatives et 2 structures hospitalières de France et de Suisse, actives dans le champ de la santé sexuelle, des addictions et de la précarité ainsi que 3 universités. L’objectif était de mieux comprendre les raisons de ces mobilités, de savoir qui elles concernent, et d’analyser les facteurs qui peuvent y être associés, notamment en termes d’inégalités sociales (le présent document livre les premiers résultats et un rapport plus complet sera bientôt disponible).
Le dispositif d’enquête a été co-élaboré avec les partenaires de l’Observatoire transfrontalier des inégalités sociales de santé. Ce partenariat s’inspire des principes de la collaboration en recherche communautaire. Un questionnaire a été proposé aux personnes rencontrées dans 22 lieux d’accueil ou services en France et en Suisse (sur le Grand Genève) entre le 5 et le 27 octobre. L’équipe des enquêteur-trices-x était composée de 13 membres des structures partenaires de l’enquête, 11 étudiant-es-x du master de sociologie de l’UNIGE et 6 collaborateur-trices-x de l’Institut de recherches sociologiques de l’UNIGE. Les questionnaires ont été remplis en face-à-face (56%) ou de manière auto-administrée (44%). 316 personnes ont répondu. 56% des questionnaires ont été réalisés en Suisse (Canton de Genève, district de Nyon) et 44% en France (partie française du Grand Genève dans les départements de l’Ain et de la Haute Savoie).
Qui a répondu ?
Les répondant·e·x·s ont entre 16 et 74 ans (moyenne à 39 ans). 21% n’ont pas fait d’études au-delà de l’école obligatoire, alors que 35% ont une formation universitaire. Les répondant·e·x·s présentent une large diversité d’identités de genre, bien que les hommes cisgenres soient majoritaires dans l’échantillon (Fig. 1). 25% des répondant·e·x·s sont né-es-x en Suisse, 35% en France et les autres dans un autre pays (Fig. 2).
Fig.1 : Identité de genre des répondant·e·x·s
Fig. 2 : Pays de naissance des répondant·e·x·s
55% s’identifient à au moins un groupe concerné par une vulnérabilité au VIH : 30% en tant que consommateur·trice·x de produits psychoactifs ; 18% comme ayant connu la détention ; 5% comme travailleur·euse·x du sexe ; 5% comme chemsexeur·euse·x ; 4% comme personne vivant avec le VIH et 4% comme personne vivant avec une hépatite virale.
___________________
Une population résidant sur le Grand Genève cumulant des vulnérabilités
62% des répondant·e·x·s sont en situation de précarité (précarité matérielle, sociale et de santé).
12% n’ont aucune couverture d’assurance maladie. 18% n’ont pas de logement stable. 57% déclarent vivre seul-e-x. Parmi les personnes qui vivent dans un autre pays que celui où elles sont nées (n=124), 29% sont sans titre de séjour.
Près d’une personne sur 3 déclarent avoir renoncé à des soins dans les deux dernières années (Fig. 3). Et 30% déclarent avoir le sentiment d'avoir déjà été traité-e-x différemment que d’autres personnes pour accéder à des soins ou lors de consultations de santé (discrimination de santé).
Fig. 3 : Taux de non-recours aux soins dans les deux dernières années
___________________
La frontière n’existe pas, vraiment ?
L’espace frontière est souvent présenté comme un espace d’opportunités qui ouvre des possibilités nouvelles. Parmi les participant-es, 1 personne sur 5 considère à l’inverse que le territoire frontalier ne lui ouvre pas de possibilités. 43% estiment que la frontière représente un risque de contrôle (douanes ou police), 30% déclarent que franchir la frontière représente un coût financier, 28% que ce franchissement est une source de stress, et près de 19% disent devoir s’adapter pour contourner la frontière. La frontière reste donc un élément bien tangible dans la vie des personnes interrogées parmi lesquelles seulement 44% estiment que la frontière n’existe pas.
___________________
La mobilité transfrontalière pour raisons de santé n’est pas un phénomène anecdotique
Deux résultats constituent des données inédites pour rendre visible ce phénomène de mobilité pour raisons de santé sur le Grand Genève, confirmant d’une part les constats de terrain des structures sur la prégnance de ce phénomène et confirmant d’autre part le rôle des professionnel-les (Fig. 4).
40% des répondant·e·x·s ont eu de la mobilité transfrontalière pour leur santé. Cette mobilité a lieu au moins une fois par année pour la moitié d’entre eux-elles.
17,5% des personnes ont déjà été orientées par un-e·x professionnel-le·x de la santé ou du social vers un service, une offre, de l’autre côté de la frontière.
Fig. 4 : Mobilité transfrontalière pour raison de santé des répondant·e·x·s,
et orientation par un-e professionnel-le de santé
Recommandations
-
La mobilité apparait comme révélateur des inégalités dans ce contexte spécifique d’un espace frontière, mais aussi comme révélateur des opportunités que peut offrir le territoire. Ces résultats doivent pouvoir nourrir une réflexion sur une coopération transfrontalière en matière de lutte contre les inégalités sociales de santé (ce qui constitue un enjeu de cohésion sociale fort sur le Grand Genève).
-
Les acteur·ice·x·s de terrain plaident pour que ces données probantes nourrissent une action de coordination transfrontalière reconnue et soutenue par les autorités sanitaires de part et d’autre de la frontière. Il s’agit de faciliter l’échange de pratiques sur des situations concrètes et d'organiser des prises en charge en innovant dans les réponses d’accompagnement des parcours de santé des personnes les plus vulnérables dans leur accès aux services de santé, afin de prévenir le non-recours sur le territoire du Grand Genève.