Décoder nos pensées pour retrouver la parole
Une équipe de l’UNIGE montre que l’entraînement individuel améliore le décodage de la parole imaginée par une interface cerveau-machine. Un espoir pour les personnes souffrant de troubles du langage.

Les interfaces cerveau-machine ont le potentiel de révolutionner la prise en charge des personnes privées de la parole. Le décodage de notre langage interne est cependant extrêmement complexe, notamment en raison des faibles signaux cérébraux qui y sont associés. En demandant à des volontaires d’imaginer des syllabes spécifiques, une équipe de l’UNIGE a décodé en temps réel ces signaux neurophysiologiques à l’aide d’algorithmes d’apprentissage artificiel. Elle montre qu’il est possible d’entraîner les individus à mieux imaginer et ainsi à mieux contrôler ces interfaces. Elle précise également les zones cérébrales impliquées dans cette amélioration. Publiés dans Communications Biology, ces travaux ouvrent la voie à des applications concrètes pour les personnes souffrant d’aphasie.
Les troubles neurologiques affectant le langage et la parole, comme l’aphasie après un AVC, la sclérose latérale amyotrophique ou le locked-in syndrome, peuvent gravement altérer voire priver un individu de sa capacité à s’exprimer. Ces situations ont un impact dramatique sur la qualité de vie. Dans ce contexte, parvenir à décoder le langage interne, via une interface cerveau-machine, est un véritable enjeu de recherche.
Ces travaux soulignent l’importance, jusqu’ici sous-estimée, de l’entraînement individuel dans l’utilisation des interfaces cerveau-machine.
«D’abord utilisée pour détecter les intentions motrices, comme commander un curseur sur un écran, cette technologie s’intéresse désormais à la parole», explique Silvia Marchesotti, maître-assistante au Département des neurosciences cliniques de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a co-dirigé l’étude. «Cependant, les recherches se concentrent surtout sur la machine, en entraînant les algorithmes à classer et interpréter a posteriori des données acquises, mais peu sur l’individu.»
S’entraîner à imaginer
L’équipe de l’UNIGE s’est interrogée sur la possibilité d’entraîner les individus à mieux contrôler ces interfaces. Pour ce faire, elle a cherché à décoder en temps réel les signaux neurophysiologiques émis par le cerveau lors de l’imagination d’éléments de langage. Un défi de taille, car les signaux générés par l’imagerie mentale sont de faible amplitude et donc difficiles à capter. Et comment identifier avec précision le moment où une personne commence à imaginer des syllabes ou des mots? Ce d’autant plus que cette aptitude varie d’un individu à l’autre.
«Des études récentes ont montré qu’il est possible de décoder les tentatives de parole chez des personnes ayant perdu la capacité à s’exprimer à cause d’un trouble moteur. Cependant, cette approche n’est pas viable chez les patientes et patients atteints d’aphasie, en raison de la localisation des lésions cérébrales. C’est pourquoi nous avons choisi la parole imaginée», détaille Anne-Lise Giraud, professeure au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, directrice de l’Institut de l’audition, Centre de l’Institut Pasteur, qui a co-dirigé l’étude.
Les participantes et participants, connectés à des électrodes, recevaient un retour immédiat sur leur performance sous la forme d’une jauge affichée à l’écran. © Sivlia Marchesotti
Quinze volontaires en bonne santé se sont entrainés durant cinq jours consécutifs à utiliser un système cerveau-machine décodant les signaux d’électroencéphalographie (EEG) liés à l’imagination de deux syllabes («fo» et «gi»). Les participantes et participants, connectés à 61 électrodes, recevaient un retour immédiat sur leur performance sous la forme d’une jauge affichée à l’écran. Plus l’image mentale des syllabes était précise, plus la jauge se remplissait, offrant ainsi un feedback direct sur la qualité de leur représentation. Cette expérience a pu être réalisée grâce à l’analyse des signaux cérébraux en temps-réel avec des algorithmes de machine learning.
Amélioration notoire
Malgré la forte variabilité des performances et de l’apprentissage entre les individus, une amélioration significative du contrôle de l’interface a été globalement observée. Une expérience de contrôle, avec un
groupe de volontaires recevant un retour visuel irrégulier, a démontré que seul un retour continu sur l’activité décodée - comme lors de l’expérience principale - permettait cet apprentissage. Ce dernier implique des changements dans l’activité neurale liée à la parole.
«Nous avons par ailleurs constaté que l’amélioration de la performance était associée à une augmentation de la puissance EEG dans la région frontale liée aux ondes thêta et à un renforcement focal dans la région temporale gauche associée aux ondes gamma», indique Kinkini Bhadra, post-doctorante au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et première auteure de l’étude.
Ces travaux soulignent l’importance, jusqu’ici sous-estimée, de l’entraînement individuel dans l’utilisation des interfaces cerveau-machine. Ils identifient également les régions cérébrales impliquées dans la production de la parole imaginée, un élément clé pour optimiser le positionnement des électrodes des futures interfaces. L’étude se poursuivra auprès de personnes aphasiques pour développer un outil visant à accélérer leur récupération, en collaboration avec le Service de neurorééducation des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
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Contact
Silvia Marchesotti
Maître-assistante
Département
des neurosciences cliniques Faculté de médecine
UNIGE
+41 22 379 04 77
Cette recherche est publiée dans
Communications Biology
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