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28 août 2025 -Anton Vos

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Analyse

La santé publique globale, touchée mais pas coulée

Le départ des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé inflige un coup sérieux à la santé publique globale mais ne l’empêchera pas de continuer à engranger des succès. Analyse avec le professeur Antoine Flahault.

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Antoine Flahault, professeur et directeur de l’Institut de santé globale (Faculté de médecine).ÌýImage: DR


L’une des premières choses que Donald Trump a faite le 20 janvier 2025 en entamant son deuxième mandat de président des États-Unis, c’est de signer un décret retirant son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celui qui suggérait avec légèreté en 2020 de s’administrer de l’eau de Javel pour se protéger du coronavirus justifie sa décision par la «mauvaise gestion par l’organisation de la pandémie de Covid-19 survenue à Wuhan, en Chine, et d’autres crises sanitaires mondiales, de son incapacité à adopter les réformes urgentes nécessaires et de son incapacité à faire preuve d’indépendance vis-à-vis de l’influence politique inappropriée des États membres de l’OMS». Moins d’un mois plus tard, il place à la tête du Département de la santé et des services sociaux des États-Unis Robert F. Kennedy Jr, notoirement connu pour ses positions antivaccins. Le neveu de «JFK» a ainsi laissé entendre qu’il n’y aurait pas de lien entre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et le sida tout comme il a annoncé, entre autres considérations conspirationnistes, vouloir «mettre fin à ce crime» que sont les chemtrails. Bref, la santé publique vient d’encaisser deux uppercuts successifs (en plus de quelques autres crochets indirects) de la part du pays qui a le plus contribué au développement de ce secteur, un des rares qui a pu enregistrer des succès significatifs dans le multilatéralisme tout au long des XXe et XXIe siècles. Ce dernier est-il désormais KO?

Pas pour Antoine Flahault, professeur et directeur de l’Institut de santé globale (Faculté de médecine) bientôt à la retraite, dont la leçon d’honneur du 23 septembre prochain s’intitule précisément «Santé globale: les utopies inachevées du multilatéralisme». Loin d’être au tapis, le multilatéralisme dans le domaine de la santé publique est toujours debout et bien vaillant. La preuve en est, selon lui, l’Accord de l’OMS sur la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies qui a été approuvé en mai à Genève par les 192 pays de l’Assemblée mondiale de la santé – moins les États-Unis et l’Argentine. Ce texte, très attendu, permet d’améliorer la prévention, la surveillance et la réponse du monde à une éventuelle future pandémie. Il est destiné à améliorer la situation par rapport à celle qui a prévalu lors du Covid-19. Principale cible des critiques concernant la gestion de ce dernier épisode, la Chine en a, elle aussi, approuvé le contenu. Ce dernier doit encore être ratifié par 60 États avant d’entrer en vigueur, mais il représente d’ores et déjà un succès sanitaire majeur.

Le même budget que les HUG

«Certes, la contribution américaine à l’OMS (les parts fixe et volontaire confondues) correspond à elle seule à 20% du budget de cet institut – le deuxième donateur le plus important étant la Fondation Bill et Melinda Gates (12,7%), admet Antoine Flahault. Mais ce budget n’est que de 2,5 milliards de francs, c’est-à-dire du même ordre de grandeur que celui des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En d’autres termes, n’importe quel pays de l’OCDE pourrait compenser cette perte s’il le souhaitait.»


Aucun d’entre eux ne l’a proposé à l’heure actuelle. Seule la Chine a annoncé son intention de soutenir l’OMS à la suite du retrait des États-Unis, sans que l’on sache à quelle hauteur.


Ce qui va faire très mal, par contre, estime le professeur, c’est la disparition de l’influence des États-Unis sur la santé globale et en particulier sur le domaine de l’expertise. L’OMS a en effet mis en place un vaste réseau de ce qu’elle appelle les «centres collaborateurs», dont une dizaine se trouvent d’ailleurs à l’±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé et au sein des Hôpitaux universitaires de Genève. Il s’agit de groupes scientifiques auxquels l’OMS octroie une certification qui reconnaît leur excellence dans des domaines importants pour la santé. Au total, on compte plus de 800 Centres collaborateurs, distribués dans plus de 80 pays, y compris dans ceux à revenus moyens ou faibles. Ils fournissent à l’OMS un réseau d’excellence académique de très grande qualité et soutiennent ses nombreux programmes de santé publique au niveau régional, national et mondial.


Avec ses célèbres Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), ses NIH (National Institutes of Health) de renommée mondiale et ses nombreuses universités publiques, les États-Unis ont de tout temps été un très gros pourvoyeur de cette expertise. «L’OMS ne pourra désormais plus s’appuyer sur ces institutions, précise Antoine Flahault. Les Centres collaborateurs étasuniens ont même reçu comme consigne de cesser de communiquer avec l’OMS.»


Le problème dépasse largement la seule agence onusienne installée à Genève. Donald Trump opère en effet un désengagement général des programmes internationaux impliqués dans la santé publique. En plus de quitter l’OMS, il a coupé les fonds de l’Usaid (Agence des États-Unis pour le développement international) et s’est retiré du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ainsi que de Gavi (Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation). En tout, les États-Unis effacent 38% de leur budget alloué en 2025 à l’aide au développement officiel (ODA). Et comme ils représentent à eux seuls plus de 40% de la contribution mondiale, leur retrait se traduit par des chiffres considérables.Ìý
En outre, les États-Unis ne sont pas les seuls à réaliser des coupures budgétaires dans ce domaine. Le Royaume-Uni a décidé de réduire de 40% sa contribution à l’ODA, la France de 35%, etc.Ìý


«Il est vrai que l’aide mondiale avait été artificiellement gonflée à cause du Covid-19 et que de nombreux programmes se sont arrêtés avec la fin de la pandémie, à l’instar de Covax, qui visait à aider la distribution de vaccins dans les pays à faible niveau de revenu, admet Antoine Flahault. Cela a provoqué une correction significative dont on mesure actuellement les effets. On aurait pu en profiter et continuer à investir dans l’aide au développement. Je constate que l’on préfère se réarmer.»Ìý

Répercussions mondiales

À cause du coup d’arrêt décidé par Donald Trump dans la santé globale, certains experts estiment que le nombre de cas de paludisme va repartir à la hausse et tuer des millions de personnes dont plus de 200’000 enfants de moins de 5 ans. On pourrait également observer une résurgence de la polio, de la lèpre, du VIH et du choléra. Dans les pays les plus pauvres, en Afrique subsaharienne, il n’y aura simplement plus personne dans les dispensaires pour distribuer et administrer les médicaments. Ces États ne pourront pas investir l’argent que cela nécessite.Ìý


Pour ne prendre qu’un exemple, Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief), lancé en 2003 par le président républicain George W. Bush, est le programme de lutte contre le sida le plus important qui ait jamais été mis sur pied. Les États-Unis y ont investi plus de 110 milliards de dollars, permettant ainsi de sauver plus de 25 millions de vies dans le monde, améliorant par là même de manière significative la santé publique sur leur propre territoire. Pepfar est actuellement en sursis à cause des coupes budgétaires ordonnées par l’administration Trump.


«Il y a des maladies qui pourraient même surgir et se répandre aux États-Unis sans que l’on s’en aperçoive en l’absence d’un système de surveillance adéquat, avertit Antoine Flahault. Certains spécialistes craignent des flambées de fièvres hémorragiques de type Ebola, avec des dizaines de milliers de cas. Par ailleurs, un épisode mal maîtrisé de grippe aviaire (de souche H5N1) sévit actuellement en Amérique du Nord. Là aussi, le retrait des financements du CDC et des NIH pourrait avoir des effets dommageables sur la netteté de l’image épidémiologique. Il n’est pas exclu, en effet, que ce virus mute et devienne capable de se transmettre d’humain à humain. Cela deviendrait alors une grippe potentiellement très dangereuse. Sans parler de l’épidémie de rougeole qui bat des records cette année, par manque de couverture vaccinale.»Ìý

Un succès en sursis

Cette évolution est d’autant plus dommageable que la santé publique est un des domaines qui a le plus réussi ces dernières décennies. «On a doublé l’espérance de vie en un siècle, ce qui est du jamais-vu dans l’histoire de l’humanité, souligne Antoine Flahault. Et il n’y a pas un pays de la planète qui n’ait pas bénéficié de ce succès. On a réussi à éradiquer la variole en 1980, une maladie qui a causé la mort de 300 millions de personnes durant le seul XXe siècle. Soit plus que toutes les famines et les guerres réunies. On a diminué de 50% la mortalité des moins de 5 ans depuis 1990, essentiellement dans les pays les plus pauvres. On s’est presque débarrassé de la poliomyélite aussi, mais les efforts visant à éteindre les derniers foyers du virus s’avèrent être aussi les plus difficiles.»Ìý


Le paludisme, qui sévissait autrefois jusqu’en Suède, a été éliminé dans nos sociétés modernes et recule, année après année, dans les pays du Sud, essentiellement en Afrique subsaharienne, qui regroupe les pays les plus pauvres de la planète. Un nouveau programme, avec des vaccins (le RTS,S/AS01 et le R21/Matrix-M) recommandés pour les enfants, promet d’accélérer encore le mouvement.Ìý
«Toutes ces projections sont très vertueuses et on n’imagine pas le fardeau social et surtout économique que ces maladies auraient fait peser sur le monde si elles n’avaient pas été combattues aussi efficacement, argue Antoine Flahault. Et ce résultat positif, qui profite à tout le monde, aux pays riches comme aux pays pauvres, on le doit à la solidarité entre les nations. Sans cela, on n’y serait jamais parvenus.»

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