En décembre 1953 naît le magazine érotique masculin Playboy. Son logo iconique est aujourd’hui mondialement célèbre et peu sont celles et ceux qui ne connaissent pas ce nom. Pourtant, ce journal s’avère être bien plus qu’une revue pornographique pour hommes. Parmi les différentes rubriques qui le composent, on découvre de nombreuses pages dédiées à l'architecture et au design modernes. Des garçonnières hyper technologiques aux toits-terrasses végétalisés dans la ville en passant par une résidence d’artiste, nous nous sommes intéressées à la façon dont le magazine pousse les hommes à se réapproprier la sphère domestique, la présentant comme un lieu propice à satisfaire toutes les envies et fantasmes du jeune célibataire urbain hétérosexuel. Nous avons alors cherché à savoir dans quelle mesure les projets architecturaux et de design mis en scène par le magazine Playboy – parfois conçus spécifiquement pour ses pages – participent à construire une vision fantasmée de l’espace domestique centrée autour du plaisir hétérosexuel masculin.
Notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre du séminaire Architecture et (dé)construction du genre donné par Gaëlle Nydegger, en assistanat-doctorat au sein du Département d’histoire de l’art de l’Université de Genève. Ce séminaire nous invitait à explorer, à travers la mobilisation d’approches féministes et queers, les manières dont l'architecture participe à instituer les normes de genre qui structurent les sociétés modernes industrielles, mais aussi des projets qui visent à les déconstruire. Le fil conducteur de cet enseignement visait à interroger les différentes façons dont le genre participe à produire l’espace et inversement.
Toutes les sources que nous avons utilisées sont issues de la collection du magazine Playboy US du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l'Université de Genève (CMCSS). Cette recherche a été l’occasion pour nous de nous plonger au cœur des pages de cette revue, de 1959 à 1972, et d’en découvrir des aspects que nous ne soupçonnions pas.
En traversant les nombreux espaces mis en scène par Playboy, nous avons pu comprendre comment certains projets architecturaux et de design participent à la promotion d’un mode de vie urbain, masculin et moderne d’un playboy, le soutenant dans son processus de séduction de conquêtes féminines. La richesse des facettes des lieux présentés par le magazine nous a offert de nombreuses pistes de recherches, notamment la manière dont le magazine se saisit des codes de l’architecture moderne – sobriété, rationalité, décloisonnement et espaces fluides – afin de conférer un nouveau caractère à la sphère privée, la « déféminisant » pour la placer sous domination masculine.
Enora Stein et Lena Gaillard
Mars 2024