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8 mai 2025 - Marco Cattaneo

Vie de l'UNIGE

Des chaires d’excellence pour défendre la science

La science et la recherche traversent une zone de turbulences, prises entre restrictions budgétaires et attaques contre la liberté académique. Les chaires d’excellence constituent l’une des réponses apportées par l’UNIGE. Entretien avec la rectrice Audrey Leuba.


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«Le programme de chaires d’excellence, créées pour attirer les meilleurs talents dans des domaines stratégiques, est lancé à un moment particulièrement opportun puisque la science est menacée de toutes parts.», Audrey Leuba, rectrice de l'UNIGE. Image: N. Ackermann

Quelles sont les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le monde de la recherche?
La science est soumise à une double pression: financière et politique. Sur le plan géopolitique, le climat est préoccupant. Aux États-Unis, certaines institutions et certains domaines de recherche sont ouvertement remis en question. Cette semaine à la Sorbonne, lors de la présentation de l’initiative «Choose Europe for Science», la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dénoncé des tentatives de restriction de la liberté académique, un phénomène inquiétant qui pousse beaucoup de scientifiques à douter de leur avenir. Ce désengagement peut également nuire à la coopération internationale, notamment dans des domaines cruciaux comme la santé, la diversité ou la lutte contre le changement climatique.

Côté budget, les tensions sont fortes, y compris en Suisse. Le Programme d’allégement budgétaire 2027 de la Confédération pourrait coûter plus de 22 millions de francs par an à l’Ծé de Genève (UNIGE). Les coupes envisagées affectent tant la subvention fédérale de base, menaçant notamment de nombreux postes académiques, que des leviers clés de la recherche et de l’innovation tels que le Fonds national suisse (FNS) ou Innosuisse. À cela s’ajoute une perte d’opportunités liée ces dernières années à la non-association aux programmes de recherche européens, affaiblissant davantage le tissu scientifique helvétique.

C’est dans ce contexte qu’est lancé le programme des chaires d’excellence?
L’UNIGE lance en effet un programme de chaires d’excellence, créées pour attirer les meilleurs talents dans des domaines stratégiques (lire encadré), à un moment particulièrement opportun puisque la science est menacée de toutes parts. Financées par la Fondation Hans Wilsdorf à hauteur de 10millions de francs en 2025, ces chaires joueront également un rôle d’accélérateur, en facilitant l’accès à des financements compétitifs et en stimulant les partenariats stratégiques. C’est une façon concrète d’investir dans le capital humain et l’innovation malgré les vents contraires. Les premiers domaines ciblés incluent la médecine (neurosciences, génétique) et les sciences fondamentales (physique quantique, mathématiques, voire le domaine de la vie dans l’Univers), avec une ouverture prévue à d’autres disciplines.

Est-ce une volonté d’attirer les chercheuses et chercheurs américains?
La philosophie du projet repose sur la volonté d’attirer les meilleurs talents en s’appuyant sur notre excellence. En misant sur l’ouverture internationale et un environnement de travail attractif, l’UNIGE entend faire venir à Genève des chercheuses et chercheurs de tout premier plan. Le programme n’est pas spécifiquement pensé pour les scientifiques qui travaillent aujourd’hui aux États-Unis, mais ils et elles pourront bien sûr y participer.

Cela ne suffira pas à résoudre les défis posés par le programme d’allègement de la Confédération.
En effet, pour l’UNIGE, ces coupes traduisent un désengagement préoccupant de la Confédération, qui pourrait générer à terme des pertes financières bien supérieures aux économies escomptées. Elles surviennent alors que notre institution a déjà lancé le plus vaste plan d’économies de son histoire – 20 millions de francs sur quatre ans – et que le financement fédéral n’a pas suivi l’augmentation du nombre d’étudiantes et d’étudiants depuis deux décennies.
Compenser ces réductions par une hausse des taxes d’étude entraînerait une augmentation des bourses à la charge du canton pour préserver l’égalité des chances, tout en risquant de faire chuter la proportion d’étudiantes et étudiants internationaux – un indicateur clé d’attractivité, valorisé dans les classements et financièrement avantageux. Quant aux fonds de tiers et ressources propres, qui représentent désormais plus de 20% de notre budget annuel, ils restent insuffisants pour contrebalancer les pertes de financement fédéral et intercantonal.

Et pourtant, investir dans la science est plus stratégique que jamais.
Oui. La recherche est le moteur de l’innovation. C’est elle qui fait émerger les compétences, alimente les avancées technologiques et permet à un petit pays comme la Suisse de rester compétitif et de rayonner sur la scène internationale. Chaque franc public investi dans la recherche peut générer un retour de 3 à 5 francs dans l’économie nationale.
La science est notre meilleur atout pour faire face aux grands défis du monde actuel: énergie, environnement, santé, cybersécurité, intelligence artificielle ou technologies quantiques. Les universités jouent un rôle central, notamment à travers leurs recherches de pointe et les spin-off qu’elles génèrent. Affaiblir ce secteur, c’est compromettre à long terme notre capacité à innover, à former les talents de demain et à garantir notre souveraineté technologique.

Les chaires d’excellence de l’UNIGE

Attirer les meilleurs talents, répondre aux grands défis de notre époque et faire rayonner Genève comme pôle scientifique de référence: c’est l’ambition du nouveau programme de chaires d’excellence lancé par l’UNIGE. Avec un soutien financier substantiel – 10 millions de francs dès 2025 – accordé par la Fondation Hans Wilsdorf, ce projet permet de consolider les domaines clés de la recherche, tout en créant un environnement propice à l’innovation.
Conçues comme de véritables tremplins scientifiques, ces chaires visent à soutenir des axes de recherche d’excellence tout en permettant à l’Ծé de repenser ses priorités stratégiques face aux grands enjeux contemporains. La médecine, les neurosciences, la physique, les mathématiques, voire le domaine de la vie dans l’Univers forment les piliers de cette première phase, mais d’autres disciplines pourraient suivre, selon les opportunités.
Ces premières chaires concernent des domaines dans lesquels Genève dispose d’un potentiel scientifique reconnu. Elles couvrent aussi bien les sciences fondamentales que les sciences de la vie, avec des projets qui visent à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau, à explorer les lois de la matière au niveau quantique, à décrypter les maladies infectieuses à l’échelle moléculaire, à repousser les frontières des mathématiques pures ou encore à essayer de comprendre les origines et la répartition de la vie dans l’Univers.
Chaque chaire bénéficie d’un cadre flexible, pensé pour favoriser des partenariats stratégiques, renforcer les équipes en place et stimuler d’autres sources de financement. L’objectif est de créer un effet de levier durable, permettant à ces postes de s’inscrire dans le temps et de structurer des pôles d’excellence pérennes.
En plus d’intensifier ses capacités internes, l’Ծé entend, à travers ce programme, contribuer pleinement au rayonnement scientifique de Genève, en lien avec son écosystème hospitalier, éducatif et économique. Il s’agit aussi de soutenir une réflexion de fond sur les priorités de recherche à moyen terme, dans un contexte mondial où les attentes envers la science sont plus fortes que jamais.

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