«Fouiller ce site fut un vrai défi. En raison de sa fonction et de son âge, il recèle une densité de vestiges bien plus importante que la plupart des sites archéologiques traditionnels», explique , post-doctorante lors de ces travaux, aujourd’hui collaboratrice externe au laboratoire de la section de Biologie (Faculté des sciences) et post-doctorante au CNRS. «Nous avons creusé centimètre par centimètre en suivant les strates archéologiques. Cela nous a permis de récupérer des restes, souvent très dégradés, de poteries, d’ossements, de coquilles, de tissus et de certains aliments.»
Approche inédite
Afin d’analyser ces vestiges aux origines très diverses, l’équipe a fait appel à l’archéozoologie pour l’étude des ossements d’animaux, à la carpologie pour ce qui concerne les restes de graines et de fruits ainsi qu’à la micro-botanique, à la céramologie et à la chimie des résidus organiques. «Faire dialoguer autant de disciplines dans le cadre d’une recherche archéologique est inédit, indique , post-doctorante lors de ces travaux, actuelle chargée de recherche au CNRS. C’est une approche complexe à coordonner. Certains objets devaient être analysés par plusieurs spécialistes. Il fallait notamment s’assurer que chaque analyse ne compromettait pas la suivante.»
Cette méthode a permis d’identifier plusieurs produits animaux et végétaux, autrefois consommés par les habitant-es du village et piégés dans les sédiments ou les parois des récipients céramiques. Elle a également permis aux scientifiques d’accéder aux modalités de transformation des aliments et à la fonction des récipients, d’après l’observation des traces d’usure sur les parois des poteries et de la distribution des concentrations de lipides le long de leur profil vertical.
«Nous avons constaté que les poissons, les huîtres et le riz constituaient la base de l’alimentation des usagers et usagères du dépotoir, avec une composante d’animaux terrestres à l’occasion de fêtes», indique , directrice du laboratoire ARCAN, qui a dirigé l’étude avec , directrice de recherche au CNRS. «Les aliments salés et acides bouillis semblent avoir été privilégiés».
Rupture récente
Des mets de fête, par exemple, ont pu être reconnus grâce aux résidus alimentaires préservés dans les contenants. Parallèlement à la découverte de mâchoires de porc, des traces de mets carnés ont en effet été identifiées chimiquement dans des récipients de très grande taille, et donc vraisemblablement utilisés lors de grands rassemblements.
Globalement, ces travaux mettent en évidence une certaine continuité des pratiques alimentaires, avant une rupture nette survenue il y a deux à trois décennies. «La mondialisation a introduit ou généralisé de nouveaux aliments et de nouveaux matériaux pour les contenants, comme le plastique et le métal, transformant profondément les pratiques alimentaires, en particulier chez les plus jeunes générations, explique Pauline Debels. Certains types de poteries avec des fonctions spécifiques se raréfient dans les strates les plus récentes de la fouille et ont pratiquement disparu aujourd’hui, remplacés par ces matériaux plus résistants, plus légers et très faciles à se procurer».
Cette étude, conduite dans le cadre du projet Sinergia du Fonds national suisse, est une première étape vers la compréhension de l’évolution des pratiques alimentaires au cours des périodes précoloniale, coloniale et post-coloniale au Sénégal. Elle constitue également un premier test réussi pour l’approche combinée mise au point par l’équipe de l’UNIGE et du CNRS. Elle pourra désormais être appliquée à des sites archéologiques plus anciens et à d’autres régions du monde.