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28 novembre 2024 - Alexandra Charvet

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Le Cimetière des Rois, panthéon genevois

La mémoire du «Cimetière des Rois» est au cœur d’un projet de recherche mené par la Maison de l’histoire. Une base documentaire des personnes reposant au cimetière, un ouvrage et des activités de médiation sont prévus afin de mettre en valeur ce patrimoine.

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Tombe de Jorge Luis Borges, Cimetière de Plainpalais. Image:

Qu’ont en commun Jorge Luis Borges, Jean Calvin, Sophie Dostoïevski, André Chavanne et Grisélidis Réal? Si tous/tes les cinq ont vécu à des époques différentes, leurs tombes se situent toutes au cimetière de Plainpalais, plus communément nommé «Cimetière des Rois». Afin de mieux comprendre le passé de cet ancien cimetière de l’Hôpital des pestiférés, le Service des pompes funèbres, cimetières et crématoire (SPF) de la Ville de Genève s’est associé avec la Maison de l’histoire pour bâtir un projet de valorisation de ce site considéré comme le panthéon genevois.


À la fois lieu mémorial et lieu de tourisme, ce témoin de l’histoire genevoise n’avait pas encore fait l’objet de travaux académiques fouillés. Si on le retrouve notamment dans (Les Îles futures, 1994) et dans (Slatkine, 2009), il s’agit pour l’essentiel de «contributions patrimoniales s’intéressant plutôt au plan du cimetière, à son inscription dans l’urbanisme et à la forme des tombes, précise Taline Garibian, collaboratrice scientifique à la Maison de l’histoire et directrice du projet. Notre ambition consiste à relire l’histoire du cimetière en l’abordant sous de nouveaux angles.»

Créé en même temps que l’Hôpital des pestiférés, à la fin du XVe siècle, le Cimetière de Plainpalais devient rapidement le lieu d’ensevelissement principal de Genève. Même si d’autres cimetières sont créés au XIXe siècle, notamment le cimetière de Châtelaine, il conserve ce rôle jusqu’en 1883, date à laquelle est inauguré le cimetière de Saint-Georges. Il se ferme alors aux inhumations ordinaires, mais reste accessible aux personnes ayant acquis une concession. En 1958, la Ville décide d’en faire un lieu d’inhumation pour les magistrat-es et les personnalités marquantes ayant contribué au rayonnement de Genève. Depuis, une ou deux personnes y sont ainsi enterrées chaque année. «Nous avons peu d’informations sur la manière dont ce lieu est devenu une sorte de panthéon, ni sur les motivations du Conseil administratif, précise Taline Garibian. Si le cimetière a pour surnom ‘Cimetière des Rois’, ce n’est d’ailleurs pas parce que des personnalités y sont inhumées, mais parce que la société de l’Arquebuse, qui jouxtait l’actuel cimetière, désignait tous les ans son meilleur tireur – le Roi du Tir –, d'où le nom des rues adjacentes (rue du Tir et rue des Rois).»

Comprendre la place des femmes

Le projet mené à l’UNIGE vise en premier lieu à compléter les données biographiques des défunt-es reposant au cimetière, avec la volonté de mettre en valeur les personnalités féminines, peu présentes dans les historiographies et travaux existants. Un ouvrage en fera la compilation, tout en rassemblant des contributions scientifiques sur différentes thématiques, définies lors d’une journée d’étude qui s’est tenue le 1er novembre dernier. «Le nombre de femmes dans ce cimetière de personnalités marquantes peut surprendre, car elles représentent près d’un tiers des tombes, pointe Taline Garibian. Mais il faut dire qu’une bonne partie de ces tombes sont antérieures au moment où la Ville a décidé d’en faire un panthéon. Il s’agira de comprendre quelle est la véritable place des femmes au Cimetière des Rois, dont certaines ne figurent même pas sur la liste officielle alors qu’elles ont leur nom sur une tombe.» Dans un second temps, un projet de médiation scientifique et culturelle sera proposé autour des tombes afin de valoriser ce patrimoine. Tout reste encore à imaginer par les scientifiques: parcours, podcasts, codes QR ou encore site web.

Côté recherche, différents angles serviront de base de travail pour les historien-nes, tels que l’art funéraire, les questions mémorielles, la matérialité des corps ou encore le point de vue sociologique. «Énormément de choses dans ce cimetière peuvent être abordées pour étudier l’histoire sociale de Genève ou celle de la migration, détaille Taline Garibian. Les lieux recèlent, entre autres, la tombe d’une des filles de Dostoïevski, morte alors qu’elle n’était âgée que de quelques semaines. La présence de cette sépulture pourrait être l’occasion de parler du deuil périnatal à l’époque. Elle est aussi le témoin de la présence assez marquée de Russes à Genève dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’accueil de la tombe de Grisélidis Réal dans un tel lieu a, quant à lui, fait largement débat, ce qui permet d’éclairer certains enjeux politiques et culturels contemporains.»

La gestion matérielle des cadavres face au manque de place sur les terrains dédiés sera également étudiée. «La demande est élevée pour les cimetières de la Ville en raison de la présence des HUG sur le territoire municipal, explique Taline Garibian. Le ratio de personnes qui meurent en ville de Genève et qui, par conséquent, ont droit à une sépulture sur son territoire est bien plus élevé que dans les villes de Carouge ou de Lancy.»

Enfin, un éclairage sera apporté sur les différentes fonctions que le cimetière revêt, notamment son rôle d’espace vert dans le quartier très minéral de la Jonction ou encore sa place dans le développement du tourisme. «Il s’agira de déterminer à partir de quand le lieu a été mis en valeur comme une potentielle étape de tourisme», précise l’historienne. Le projet devrait, en outre, permettre à la Ville de Genève de soumettre un dossier en vue d’une adhésion à l’Association des cimetières remarquables d’Europe et de figurer sur la route européenne des cimetières.

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