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20 octobre 2022 - Melina Tiphticoglou

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Les artistes suisses méritent bien un statut

Souvent, les acteurs et actrices culturel-les ne bénéficient ni d’un statut légal clair ni d’une rémunération adéquate. Afin de clarifier le cadre légal existant et d’évoquer des solutions concrètes, une DzԴéԳ sera organisée à Berne le vendredi 28 octobre. Cet événement fait suite à une étude de droit réalisée à l’UNIGE.


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En pleine pandémie, les artistes imaginent des formes innovantes pour continuer à exercer leur métier. Ici, un concert en streaming du groupe suisse Félicien LiA. Le public, qui apparaît sur des écrans, suit à distance (mars 2021, salle de l'Alhambra, Genève). Photo: Keystone/M. Trezzini

Concerts annulés, musées et théâtres fermés, la pandémie de Covid-19 a brutalement sonné l’arrêt de toute activité culturelle. Au chômage forcé, les personnes actives dans ce domaine n’ont pas pour autant pu bénéficier d’une couverture sociale adéquate, la situation révélant au grand jour des trous dans la protection sociale, faute de statut professionnel clair. Depuis une vingtaine d’années, la question est pourtant régulièrement évoquée au niveau politique, sans jamais avoir été clarifiée en raison de sa complexité juridique.

Le vendredi 28 octobre, à Berne, l’UNIGE, en partenariat avec les universités de Lausanne et de Neuchâtel, organisera une DzԴéԳ d’envergure nationale afin de clarifier le cadre légal, de lister les initiatives existantes et d’évoquer des solutions concrètes en vue de la reconnaissance d’un statut légal et d’une rémunération adéquate des acteurs et actrices culturel-es (lire ci-dessous). Cet événement fait suite à une étude, parue en mai 2022, réalisée par Yaniv Benhamou, professeur associé à la Faculté de droit de l’UNIGE, sur , à la demande de plusieurs collectifs d’artistes. Entretien.

LeJournal: Que pouvez-vous dire de la situation professionnelle des artistes en Suisse?
Yaniv Benhamou: Le niveau de revenu dans le secteur est faible, comme le démontrent des études menées ces dernières années. Certaines branches ont édicté des recommandations tarifaires, comme les tarifs Visarte pour les arts visuels ou Usdam pour la musique, mais elles semblent rarement appliquées faute d’incitation et de clarté sur les systèmes de rémunération. On constate toutefois une évolution, puisque certaines autorités commencent à conditionner l’octroi de subventions publiques au respect des tarifs de branches. À noter qu’il s’agit de soutenir à la fois les artistes de métier et les personnes collaborant au processus artistique, ayant un impact sur la création artistique et sa diffusion.

Qu’en est-il du statut légal de ces personnes et de leur protection sociale?
On peut distinguer deux statuts légaux. D’une part, les salarié-es – qui peuvent être «fixes» si au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée ou «intermittents» lorsqu’elles et ils multiplient les contrats de travail à durée déterminée –, dont l’employeur/euse est soumis-e au paiement des charges sociales. D’autre part, les indépendant-es, qui sont responsables du versement de leurs propres cotisations. Le travail au noir étant relativement répandu dans le milieu, s’y ajoutent de nombreuses personnes «sans statut» qui n’ont aucune protection sociale.

Quelles solutions proposez-vous pour réduire la précarité dans ce secteur?
Puisque la meilleure couverture sociale est celle dont bénéficient les salarié-es (congés maladie, vacances, protection en cas de licenciement, droit au chômage, etc.), une solution consisterait à s’appuyer sur le cadre légal existant pour accéder à ce statut d’intermittent-e salarié-e, par exemple, grâce à des sociétés de portage salarial. Plusieurs collectifs d’artistes, surtout en Suisse romande, commencent d’ailleurs à s’organiser de cette façon.

En quoi consiste ce mécanisme de portage salarial?
Dans cette relation, l’artiste adhère volontairement à la société de portage. Celle-ci, moyennant rémunération, établit les contrats, gère l’administratif et verse les salaires et les charges sociales, tandis que l’artiste se charge de trouver ses concerts, prestations ou performances. De cette façon, l’artiste accède au statut de salarié intermittent tout en conservant une liberté dans le choix de ses activités. Le portage salarial peut prendre une forme contractuelle ou s’effectuer sous la forme d’une location de services au sens de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE). C’est cette deuxième forme que je recommande, car elle est plus sûre et soumise à un contrôle des autorités. La société de portage peut prendre tous les types de formes juridiques (association, SA, Sàrl, coopérative) qui ont la possibilité de s’inscrire au registre du commerce. La coopérative s’avère intéressante pour la gestion collective qu’elle permet.

Certains collectifs d’artistes pratiquent déjà le portage salarial. Pourquoi ne pas simplement les laisser poursuivre dans cette voie?
Les solutions existantes méritent d’être renforcées. Le cadre juridique est complexe et doit être appliqué de manière stricte pour assurer une certaine sécurité, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. De plus, la viabilité économique d’une telle structure et les montants de rémunération appliqués sont essentiels et, à ce titre, le volume salarial est fondamental. C’est pourquoi l’une des solutions que l’on pourrait envisager serait une coopérative de portage transversale aux disciplines artistiques et réunissant plusieurs régions, voire tout le pays. La DzԴéԳ du 28 octobre, qui rassemblera tous les milieux et acteurs/trices concerné-es, permettra d’y réfléchir ensemble.

Existe-t-il des alternatives à cette solution?
Oui, on pourrait, par exemple, améliorer, voire flexibiliser l’indépendance, sachant que beaucoup d’artistes indépendant-es souhaitent conserver ce statut. On pourrait également envisager d’adapter le chèque emploi au milieu artistique. Ce système, développé dans le cadre du travail domestique, a pour but de garantir le droit aux prestations sociales des employé-es en simplifiant les démarches administratives liées aux assurances sociales pour les employeurs/euses. La formation des artistes devrait également être renforcée pour qu’ils et elles aient une meilleure connaissance de leurs droits et obligations en matière de protection sociale.

STATUT ET RÉMUNÉRATION DES ARTISTES ET ACTEUR-TRICES CULTUREL-LES
Vers la reconnaissance d’un statut légal et une protection sociale des artistes?

Vendredi 28 octobre 2022 | 9h30-17h
, 12 Fabrikstrasse, 3012 Berne

ÉéԱ𳾱Գ bilingue français-allemand avec interprétation simultanée.
Entrée gratuite, sur . Également disponible en direct en ligne.

Programme complet

Une journée pour réfléchir ensemble
La DzԴéԳ qui se tiendra le vendredi 28 octobre à Berne se veut fédératrice. Différent-es expert-es en droit ainsi que les autorités et acteurs/trices culturel-les à l’échelle fédérale, cantonale et communale prendront successivement la parole dans le but de clarifier le cadre légal existant et de réfléchir de façon commune aux solutions concrètes en vue de la reconnaissance d’un statut légal et d’une rémunération adéquate des artistes. La journée commencera à 9h30 par une première partie consacrée au cadre juridique (droit des contrats, des assurances sociales, portage salarial en matière de culture, solutions à l’étranger). La deuxième partie donnera la parole aux acteurs et actrices culturel-les, entre autres par le biais de leurs syndicats. La troisième et dernière partie sera l’occasion de présenter les initiatives institutionnelles, notamment lors d’un débat sur la mise en œuvre des mesures. L‘événement est gratuit, , et peut également être suivi en direct en ligne.


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