22 octobre 2020 - Nadia Sartoretti
Érotisme et sexualité vus du Japon
Dans l’ouvrage «L’esprit de plaisir, une histoire de la sexualité et de l’érotisme au Japon», publié au début de ce mois chez Payot, Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’UNIGE, et , correspondant du journal «Le Monde» à Tokyo, se livrent à un examen détaillé des pratiques sexuelles et de l’érotisme entre le XVIIe et le XXe siècle au Japon. Ce livre, au sujet qui pourrait de prime abord sembler léger, étonne et «invite à réintroduire du culturel dans ce que l’on a tendance à penser comme universel ou ‘naturel’». Entretien.
Kitagawa Utamaro, Utamakura (1788)
LeJournal: Cet «hédonisme désinhibé», que vous décrivez et qui s’exprime de l’époque Edo (1603-1867) jusqu’à l’ouverture du Japon à l’extérieur (milieu du XIXe siècle), inclut toute une série de pratiques courantes, pour l’acceptation desquelles on se bat en Occident aujourd’hui. C’est très étonnant!
Pierre-François Souyri: Oui, ce qu’on appelait non pas l’homosexualité mais la «Voie des garçons» est très répandue, notamment parmi les guerriers samouraïs. À l’époque, l’hétérosexualité et l’homosexualité n’étaient ni normées, ni exclusives. Par ailleurs, la fluidité des genres, qui s’exprimait alors, existe toujours dans le Japon d’aujourd’hui. Il y a une absence de tabou très marquée, par exemple dans le domaine du spectacle où les femmes s’habillent en hommes et réciproquement. La culture queer est ainsi relativement bien développée dans l’Archipel de nos jours. Les questions de transition de genre, de fluidité comme on les nomme actuellement, sont des constructions culturelles, c’est-à-dire que l’on peut en faire des tabous complets ou au contraire des comportements socialement admis.
Alors qu’il traite d’un contexte éloigné, votre ouvrage pousse à réfléchir sur nos propres codes et normes. Était-ce l’une des intentions du projet?
Lorsqu’on explore une société qui fonctionne sur d’autres normes que les nôtres, ce mouvement de réflexion s’effectue nécessairement. Dans le cas présent, il est frappant de constater à quel point la modernisation, qui intervient dans le cas du Japon à l’époque Meiji (1868-1912), est dans les faits une répression sociale et politique, mais aussi sexuelle, en raison du puritanisme qui l’accompagne. Notre ouvrage montre, par ailleurs,que les rapports de genre influencent les mouvements historiques et structurent les mentalités de manière cruciale.