Encourager la participation dans le champ de l'éducation de l'enfance : la part des adultes | Marianne Zogmal (±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Genève), Florence Pirard (±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé de Liège), Sylvie Rayna (±«²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ùé Sorbonne Paris Nord) | 13.11.2024
RETOUR SUR LA CONFERENCE DU 13 NOVEMBRE 2024
Par Laurent Filliettaz, RIFT, Université de Genève
La conférence du 13 novembre nous donnait deux bonnes raisons de nous réjouir. Celle d’abord d’inaugurer le nouveau cycle de conférences du laboratoire RIFT, intitulé « Soutenir la participation des publics en formation des adultes ». Et celle ensuite de mettre en lumière et de saluer le parcours de notre collègue Marianne Zogmal, qui prendra sa retraite à la fin du mois de décembre, et à qui cet événement était d’une certaine manière dédié.
Pour inaugurer ce cycle de conférences sur la question de la participation, le hasard et, en quelque sorte le paradoxe, ont voulu que se rencontrent deux bornes éloignées du continuum de l’éducation : la formation des adultes d’une part et l’éducation de la petite enfance d’autre part. On sait que les questions de la participation et de l’inclusion constituent des points de repères bien identifiés dans le champ de l’éducation préscolaire, que ce soit sous l’angle du droit, des politiques éducatives et des pratiques pédagogiques. Ce qui a été discuté à l’occasion de cette conférence, c’est la part des adultes et de leur rapport à la formation dans la construction d’environnements participatifs, non seulement pour les enfants, mais aussi pour leurs familles, les professionnel·le·s et les acteurs institutionnels. La participation des enfants ne peut se déployer pleinement qu’à condition de requestionner la part des adultes et de leur propre engagement.
Pour aborder cette affirmation forte, il ne fallait pas moins de trois voix pour s’accorder et donner corps à la problématique, en la déclinant sur trois registres : la part des professionnel·le·s, celle des parents et enfin celle des enfants eux-mêmes.
Dans une première intervention, Florence Pirard thématise le concept de participation et en revisite quelques éléments de définition. Participer, c’est bien plus qu’assurer une « présence ». C’est témoigner d’un engagement actif, mener des interactions collaboratives, qui font sens pour les acteurs et qui engagent leur responsabilité. C’est aussi mettre en œuvre une dimension réflexive de l’action. Ainsi conçue, la participation implique de « faire place », sans exclure mais aussi sans injonction. Transposée au contexte de l’éducation de l’enfance, cette conception de la participation se fait holistique. Fondée sur une approche pluridisciplinaire, elle ne peut se déployer que dans une vision systémique, avec tous les acteurs concernés : les enfants au centre, mais aussi, les parents, les professionnel·le·s, les acteurs institutionnels, les conseillers, les coordinateurs, etc. La conduite des démarches de recherche constitue elle aussi une occasion pour les professionnel·le·s d’élargir le périmètre de leur participation. Mais ces formes de recherche collaborative posent de nombreuses questions et sont jalonnées de défis. Par qui et comment les objets de la recherche sont-ils définis ? Comment ne pas enfermer les « professionnel·le·s » dans des catégories homogénéisantes qui gomment leur diversité ? Comment établir une contractualisation bien établie, sans confusion des rôles ? Comment inscrire la recherche dans une démarche itérative, où la participation des professionnel·le·s est susceptible de faire évoluer la contractualisation initiale ? Comment impliquer aussi les professionnel·le·s non seulement dans la mise en œuvre de la recherche, mais également dans la communication de ses résultats ou de ses recommandations ? A partir de plusieurs expériences récentes de recherches collaboratives menées sur la problématique du genre dans le travail éducatif, Florence Pirard évoque les bénéfices mutuels que peuvent tirer les professionnel·le·s et les chercheuses et chercheurs dans leurs rapports de collaboration. Elle plaide ainsi pour des liens étroits entre la recherche et les processus de professionnalisation.
Sylvie Rayna déplace la focale de la problématique sur la figure des parents. Sa contribution à la conférence permet de questionner la participation des parents dans le système holistique présenté. En se fondant sur une conception anthropologique de la participation comme ancrée dans des « communautés de pratique », elle rend compte de plusieurs démarches participatives, menées avec les parents en France, aussi bien en crèche qu’en école maternelle. Différents projets sont exposés, dont les actions « passerelles », qui permettent aux parents de s’engager dans les espaces de vie enfantine et d’être reconnus comme des participants légitimes. L’éveil artistique et culturel constitue une autre voie possible pour donner une place aux parents, en particulier dans les contextes migratoires. Pourtant, de nombreux obstacles et défis se dressent sur la voie d’une participation légitime des parents à la communauté éducative. Les espaces institutionnels de la vie enfantine deviennent de plus en plus cloisonnés, laissant les parents « sur le pas de la porte » de l’école. Et les horaires établissent des temps d’apprentissage toujours plus étanches à des expériences propices aux interactions avec les familles. Et pourtant, de nombreux exemples existent, en particulier en Italie dans la ville de Pistoia, dans lesquels la voix des parents et celles des institutions éducatives s’unissent pour conduire des projets communs ouverts sur l’espace public. De quoi inspirer de nouvelles perspectives !
Pour terminer cette conférence à trois voix, Marianne Zogmal porte finalement son attention sur la participation des enfants. A partir de trois expériences chronologiquement ordonnées, et qui retracent différentes époques de son parcours d’éducatrice, de directrice d’institution et de chercheuse, elle fait le portrait de trois enfants en interaction avec des adultes, rencontrés dans des institutions d’accueil. Il y a d’abord Maëlle, une enfant qui osera partager avec son éducatrice de référence les peurs qui sont les siennes au moment de devoir se réfugier dans les sous-sols d’un immeuble pour y dormir. Il y a ensuite Célia, qui sollicite l’aide d’une éducatrice stagiaire et de sa référente pour se mettre en position assise. Et il y a finalement le cas de Maya, qui participe à une expérimentation de confrontation à des images vidéo des situations dans lesquelles sa maman échange avec les équipes éducatives à l’occasion des accueils et des retrouvailles. Des points communs réunissent ces situations. Quand les enfants font entendre leur voix, ils ne le font pas seulement par des mots, mais par un ensemble complexe et finement articulé de ressources sémiotiques multimodales. Interpréter cette voix et lui donner de la signification ne va pas de soi. Cela présuppose un travail d’enquête, mené par les adultes, et qui présente souvent un caractère incertain. Ce travail d’interprétation est tout sauf symétrique. Il place souvent les enfants dans des situations d’une prise de parole non ratifiée, voire contestée.
À l’heure où de nouvelles formes de discrimination se font jour, connues sous le nom de « childism », et dans lesquelles les enfants ne sont pas toujours les bienvenus dans certains espaces sociaux, il convient de s’interroger non seulement sur la place qui leur est donnée, mais surtout sur la manière dont leur voix est réellement entendue sur le plan interactionnel. Car comme le montrent bien les recherches menées dans « les perspectives de l’enfance », les enfants ne constituent pas un groupe homogénéisé par l’âge biologique. Ils font pleinement partie de la communauté humaine et sont d’ores et déjà des « devenant » et « étant » citoyens. À ce titre, ils ne doivent pas être regardés comme des objets de l’action des adultes, ni même comme des adultes en devenir. Ils sont des participants à part entière de situations complexes et hautement interdépendantes, dans lesquelles ils doivent trouver la place qu’on veut bien leur donner. Et dans la fragilité de cette position, ils se retrouvent parfois tout aussi vulnérables que leurs parents et les professionnel·le·s.
La participation des enfants constitue un des droits fondamentaux définis dans la Déclaration des droits de l'enfant de 1989. Ce droit à une participation interroge les structures d'accueil de l'enfance et les pratiques mises en œuvre. Favoriser la participation implique d'aménager des opportunités pour permettre aux enfants de faire entendre leurs avis et d'en tenir compte dans les décisions à prendre. Une telle participation se réalise dans les interactions au quotidien et nécessite d'ajuster les fonctionnements institutionnels. Il s'agit de tenir compte des intérêts et des élans des enfants, mais également de leurs refus et de leurs résistances. Quelle est la part des adultes dans ce processus de soutien à la participation des enfants ? Quels sont les liens entre les enjeux de la participation dans le champ de l'éducation de l'enfance et la formation des adultes ? La formation initiale et continue des éducatrices et éducateurs constitue un levier indispensable pour développer les compétences nécessaires à une observation fine des enfants et une reconnaissance de l'expression de leurs besoins, de leurs intérêts et de envies. Savoir offrir des ressources variées et créer les conditions permettant aux enfants d'élaborer et de rendre visibles leurs points de vue s'apprend à travers des processus de formation. Pour pouvoir se déployer pleinement, la participation des enfants se construit collectivement par l'engagement de l'ensemble des acteurs et actrices, impliquant les adultes et les enfants. Il s'agit moins de « faire » participer les enfants que de construire un environnement participatif pour chacun·e. La cohérence d'une telle démarche implique de donner une voix aux enfants, à leurs parents ainsi qu'aux professionnel·le·s qui les entourent. Les démarches de recherche menées récemment dans le champ de l'éducation de l'enfance montrent ainsi les pistes, les défis et les obstacles rencontrés lorsqu'il s'agit de renforcer la participation des éducatrices et éducateurs à des recherches interdisciplinaires et au développement de pratiques éducatives dans une perspective inclusive. D'autres travaux visent à créer des coopérations avec les parents et à favoriser leur participation à des recherches, en questionnant les conditions, modalités et effets de la participation parentale. Quant à la participation des enfants, de nombreuses recherches s'intéressent aux pratiques qui permettent d'entendre et d'impliquer les enfants dans leurs environnements au quotidien et dans la société dans son ensemble. Ainsi, ces différentes démarches éclairent un éventail large de pratiques participatives menées dans des contextes variés. La conférence aura pour objectif de mettre en visibilité ces démarches participatives, qui impliquentà la fois les enfants, les familles, les professionnel·le·s et les acteurs institutionnels.