Dossier/Etudiants
Satisfaits, mais inquiets!
Réforme de Bologne, mobilité, rapport aux études, au travail rémunéré ou au logement sont quelques-uns des grands thèmes abordés par l’enquête «Etudiants 2006». Aperçu des principaux résultats

Le «mĂ©tier» d’étudiant n’est plus ce qu’il Ă©tait. En quelques dĂ©cennies, l’avènement d’Internet, la rĂ©forme de Bologne, le dĂ©veloppement de la mobilitĂ©, les modifications du calendrier acadĂ©mique, le durcissement du marchĂ© du travail ou la rarĂ©faction des bourses (moins 10% en huit ans) ont profondĂ©ment modifiĂ© le quotidien des universitaires. Afin de mieux cerner leurs besoins, mais aussi d’évaluer la pertinence des enseignements proposĂ©s, de comprendre les raisons des Ă©checs et des rĂ©orientations en cours de cursus, d’ouvrir des pistes de rĂ©flexion nouvelles pour le dĂ©veloppement de la formation continue, l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Genève mène des enquĂŞtes ponctuelles depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990 (lire ci-contre). «Ce type de dĂ©marche constitue un Ă©lĂ©ment essentiel dans la gestion d’une universitĂ© moderne, au sens oĂą notre offre de formation, notre politique et nos actions – particulièrement en situation de «concurrence» – doivent passer par une connaissance documentĂ©e, chiffrĂ©e, des conditions de vie, des projets, des attentes, des difficultĂ©s et satisfactions de nos Ă©tudiants», confirme le professeur Yves FlĂĽckiger, vice-recteur responsable de la formation et des relations internationales.
Dernier volet en date, «Etudiants 2006», dont les résultats ont été présentés cet automne, innove tout d’abord sur la forme. En effet, l’enquête sera désormais reconduite chaque année auprès du même échantillon d’étudiants, qui sera ainsi suivi de son entrée à l’UNIGE à ses premiers pas dans la vie professionnelle.
La fin d’un modèle
Sur le fond, l’enquête montre que si 90% des usagers de l’UNIGE se disent globalement satisfaits de leurs études, ils demeurent plutôt méfiants à l’égard de la réforme de Bologne et très sceptiques vis-à -vis de l’enseignement à distance. Consacrant un nombre stable d’heures à leurs études (une trentaine par semaine en moyenne), les universitaires d’aujourd’hui sont en moyenne plus âgés que leurs prédécesseurs (23,7% d’étudiants de plus de 21 ans en 1990, contre 34,1% en 2006). Ils exercent plus fréquemment une activité rémunérée en dehors de leurs études (86% des 3e année aujourd’hui, contre 69% en 1990) et demeurent plus longtemps sur les bancs de l’Académie.
«Traditionnellement, la fin des Ă©tudes reprĂ©sentait un moment charnière entre jeunesse et âge adulte, explique Jean-François Stassen, membre de l’Observatoire de la vie Ă©tudiante et coauteur du rapport “Etudiants 2006”. Trois autres moments, souvent très proches sur le plan chronologique, marquaient ce passage: l’entrĂ©e sur le marchĂ© de l’emploi Ă la sortie du domicile parental et l’installation en couple. Or, aujourd’hui, ces transitions sont de moins en moins simultanĂ©es. Elles ont tendance Ă s’étaler davantage dans le temps et sont vĂ©cues selon de nouvelles modalitĂ©s.» Les Ă©tudiants sont ainsi de plus en plus nombreux Ă choisir de quitter le nid parental durant leurs Ă©tudes (50% des 1ère annĂ©e en 2006 contre 30% en 1990) ou Ă tenter l’expĂ©rience de la colocation tout en exerçant une activitĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e en dehors de leurs Ă©tudes. Près d’un quart des Ă©tudiants de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Genève parvient ainsi Ă se dĂ©brouiller sans aide financière parentale. «Loin de constituer une entrave Ă leurs Ă©tudes, l’acquisition d’une certaine autonomie pousse les Ă©tudiants Ă se prendre en main de façon plus volontariste, ajoute Jean-François Stassen. Ainsi, malgrĂ© des contraintes plus lourdes, ceux qui ont fait le choix de l’indĂ©pendance redoublent moins souvent (8%) que ceux qui continuent Ă bĂ©nĂ©ficier de l’aide de leurs parents (12%).»
Des motivations très diverses
Quant aux raisons qui les ont poussĂ©s Ă entrer Ă l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ©, près de 80% des Ă©tudiants interrogĂ©s considèrent que ce choix doit faciliter leur «dĂ©veloppement personnel». Ils sont près de 70% Ă citer Ă©galement l’intĂ©rĂŞt pour le domaine choisi alors que 60% d’entre eux jugent que cela constitue la suite logique de leur parcours scolaire. Un Ă©tudiant sur deux attend de sa formation qu’elle le rende «plus responsable», tandis qu’ils sont 33% Ă vouloir «accĂ©der Ă des professions bien rĂ©munĂ©rĂ©es» ou de «grand prestige». Enfin, un Ă©tudiant sur cinq dit avoir fait ce choix «pour rĂ©aliser un rĂŞve».
A l’échelle des facultĂ©s, les Ă©tudiants de droit, de sciences Ă©conomiques et de HEI sont ceux qui sont le plus souvent motivĂ©s par l’ambition ou la perspective d’une forte rĂ©munĂ©ration. La vocation joue en revanche un rĂ´le prĂ©pondĂ©rant en mĂ©decine, en sciences de l’éducation et en lettres. L’acquisition de connaissances de pointe apparaĂ®t logiquement comme une prioritĂ© importante pour les scientifiques, tandis que les sciences Ă©conomiques et sociales hĂ©bergent la plus forte proportion d’étudiants ayant fait leur choix «par dĂ©faut». «Ces rĂ©sultats montrent que les Ă©tudiants sont très attachĂ©s Ă l’idĂ©e d’éducation globale, rĂ©sume Jean-François Stassen. PlutĂ´t que des savoirs pointus ou spĂ©cifiques, ils viennent chercher Ă l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© des compĂ©tences transfĂ©rables et polyvalentes (esprit d’analyse et de synthèse, acquisition de connaissances gĂ©nĂ©rales). Ce qu’ils attendent en prioritĂ© de leur formation, c’est qu’elle leur donne les moyens de trouver leur place non seulement sur le marchĂ© du travail, mais aussi dans la sociĂ©tĂ©.»
Recherche: terre inconnue
Dans un tel contexte, la recherche fait logiquement figure de parent pauvre. Ainsi 35,7% des étudiants interrogés ne savent pas si l’UNIGE est à la pointe de la recherche dans leur domaine et 53,1% d’entre eux ne possèdent pas assez d’éléments pour affirmer que l’UNIGE répond (ou non) à leurs priorités en termes de recherche. «Un tel déficit de connaissance face à la nature du milieu universitaire suisse ne doit pas nécessairement étonner concernant un étudiant en début de cursus, analyse Yves Flückiger. Les résultats de l’étude montrent d’ailleurs que cette conscience s’accroît au fil du parcours académique. Ce qui importe avant tout, c’est que nos chercheurs transmettent aux étudiants un savoir exportable et vivant, fondé sur la rigueur de la démarche scientifique et un sens de la curiosité. Mais il est clair que le fait que nos institutions basent leur formation sur une pratique de la recherche devrait être exposé de façon plus claire aux étudiants, ne serait-ce que pour assurer la pérennité d’un système d’une si grande qualité.»
Bologne inquiète
«Etudiants 2006» dĂ©montre que la rĂ©forme de Bologne inspire d’abord la circonspection (41% de «j’attends de voir»), ensuite le scepticisme (27% «sceptiques» et 4% de «je n’y crois pas»), assez loin devant l’optimisme (4% «je suis plein d’espoir» et 15% de «confiants») et l’ignorance (9% de «pas au courant»). MalgrĂ© les structures mises en place par l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© (SOS-Ă©tudiants) et de nombreuses sĂ©ances d’information organisĂ©es par l’institution, les Ă©tudiants disent par ailleurs peu ou mal connaĂ®tre les tenants et les aboutissants de la rĂ©forme. CĂ´tĂ© perception, Bologne est Ă©galement souvent associĂ©e Ă l’ouverture sur l’étranger et Ă la possibilitĂ© d’étudier ailleurs. En revanche, elle ne constitue pas un plus en termes de libertĂ© et de souplesse dans la formation. Près de 50% des sondĂ©s estimant mĂŞme que cette mesure ne constitue «pas du tout» une amĂ©lioration pour ce qui est de la qualitĂ© de la formation. A cela s’ajoute la crainte d’une «baisse de la qualité», d’un «nivellement par le bas» ou d’une «perte de crĂ©ativité» comme en attestent les commentaires figurant sur certains questionnaires. D’autres regrettent ce qu’ils perçoivent comme «un premier pas vers la privatisation de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮé» ou comme un processus de «marchandisation des Ă©tudes».
«Globalement, complète Jean-François Stassen, les étudiants perçoivent la Réforme de Bologne comme leur promettant plus de contraintes: un allongement de la durée des études, plus de sélection, plus de travail à fournir, plus d’exigences et donc plus de stress. Cela étant, pour les étudiants qui ont commencé avec ce système, Bologne ne pose pas de difficultés particulières: c’est un univers qui leur paraît tout à fait familier. Pour ceux qui ont vécu la transition, en revanche, les choses sont un peu plus compliquées et ils se montrent donc nettement plus critiques.»
Bouger, un vœu pieux?
Objectif prioritaire de Bologne, l’augmentation de la mobilité reste, pour l’instant, un pari sur l’avenir. Les résultats d’«Etudiants 2006» montrent en effet que seuls 13% des 4e année et 2% des 1ère année ont fait l’expérience de la mobilité dans le cadre de leur cursus. «Les étudiants sont beaucoup plus nombreux à avoir ce genre de projet, explique Jean-François Stassen. Mais, à partir de la deuxième année, on constate un phénomène de «retour au principe de réalité» qui fait que plus le cursus avance, moins on songe à partir.»
Au chapitre des dolĂ©ances, les rĂ©sultats de l’enquĂŞte montrent que les Ă©tudiants demandent Ă la fois Ă avoir plus de contacts avec les enseignants et avec les autres Ă©tudiants. Ils souhaitent par ailleurs disposer d’une plus grande libertĂ© dans le choix des cours et reprochent souvent aux enseignants de privilĂ©gier la recherche au dĂ©triment de la pĂ©dagogie ou de manquer de disponibilitĂ©. Ce qui ne semble pas affecter outre mesure leur moral, puisque la population estudiantine de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Genève semble plutĂ´t bien se porter. «Pour l’immense majoritĂ© des Ă©tudiants, tout se passe bien, confirme Jean-François Stassen. En ce sens, les problèmes qui touchent le plus grand nombre sont de petits problèmes. Cependant, Ă l’inverse, il y a aussi un petit nombre de personnes qui souffrent de difficultĂ©s très importantes et pour lesquelles les ennuis semblent se cumuler. Ainsi, aux inĂ©galitĂ©s en termes de ressources – qui obligent Ă travailler davantage en dehors de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© – s’ajoutent la difficultĂ© de travailler chez soi, celle de trouver une place dans une bibliothèque, la faible probabilitĂ© d’y travailler au calme et la difficultĂ© liĂ©e aux horaires restreints d’ouverture… MĂŞme si ce genre de problèmes touche un nombre rĂ©duit de personnes, il ne faut pas les nĂ©gliger dans la mesure oĂą ces difficultĂ©s prennent une très grande place dans l’existence de ceux qui les subissent, ce qui va tout Ă fait Ă l’encontre du principe mĂŞme de la dĂ©mocratisation des Ă©tudes universitaires.»
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L’UNIGE pionnière en son paysMaillon d’une chaĂ®ne dĂ©jĂ longue, «Etudiants 2006» dispose d’une gĂ©nĂ©alogie unique au niveau suisse.C’est au cours de l’hiver 1987 que la commission de l’enseignement du Rectorat dĂ©cide de rĂ©aliser une première enquĂŞte auprès d’un Ă©chantillon d’étudiants de 1ère annĂ©e. Deux ans plus tard, un second questionnaire est envoyĂ© au mĂŞme panel. Les rĂ©sultats obtenus donnent lieu Ă la publication de deux rapports sous le label «Etudiants 90».sous le label «Etudiants 90». Au printemps 2002, une nouvelle opĂ©ration est lancĂ©e auprès de l’ensemble des Ă©tudiants de première annĂ©e immatriculĂ©s en 2001 («Etudiants 2001»).opĂ©ration est lancĂ©e auprès de l’ensemble des Ă©tudiants de première annĂ©e immatriculĂ©s en 2001 («Etudiants 2001»). Deux ans plus tard, l’enquĂŞte «Etudiant 2004» porte cette fois-ci sur l’ensemble des Ă©tudiants proches de la fin de leurs Ă©tudes de base durant l’hiver 2004. Au printemps 2006, l’Observatoire de la vie Ă©tudiante, mis sur pied l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente par le Rectorat, lance la première vague de questionnaires destinĂ©s Ă nourrir une enquĂŞte longitudinale portant sur un Ă©chantillon reprĂ©sentatif de l’ensemble de la population Ă©tudiante de l’UNIGE. L’annĂ©e suivante, un deuxième volet est rĂ©alisĂ©, avant la publication du rapport «Etudiants 2006».diante de l’UNIGE. L’annĂ©e suivante, un deuxième volet est rĂ©alisĂ©, avant la publication du rapport «Etudiants 2006». Institution pionnière au niveau national, l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Genève n’est de loin pas seule Ă pratiquer des recherches de ce genre. En France et en Allemagne, notamment, c’est Ă©galement pratique courante depuis au moins deux dĂ©cennies. Le Studierendensurvey de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Konstanz a ainsi entamĂ© son existence comme recherche ponctuelle en 1983 et sa production continue de donnĂ©es sur le monde Ă©tudiant est soutenue depuis de nombreuses annĂ©es par le Ministère allemand de l’éducation. En France, l’Observatoire national de la vie Ă©tudiante a Ă©tĂ© créé en 1989 par le Ministère de l’éducation nationale et ne cesse de grandir et d’essaimer depuisde ce genre. En France et en Allemagne, notamment, c’est Ă©galement pratique courante depuis au moins deux dĂ©cennies. Le Studierendensurvey de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Konstanz a ainsi entamĂ© son existence comme recherche ponctuelle en 1983 et sa production continue de donnĂ©es sur le monde Ă©tudiant est soutenue depuis de nombreuses annĂ©es par le Ministère allemand de l’éducation. En France, l’Observatoire national de la vie Ă©tudiante a Ă©tĂ© créé en 1989 par le Ministère de l’éducation nationale et ne cesse de grandir et d’essaimer depuis |