Ces petites bĂŞtes qui nous pourrissent la vie
Robert Waterhouse a dispensé cet hiver à des étudiants et jeunes chercheurs d’Afrique du Sud une formation destinée à déchiffrer, corriger et exploiter les génomes d’insectes. Le tout dans le contexte d’Un pays encore marqué par les intenses contestations estudiantines de 2015 et 2016.
Trois jours avant d’arriver en Afrique du Sud, Robert Waterhouse n’est pas encore certain de pouvoir donner le premier cours du programme de formation en gĂ©nomique qu’il a mis des mois Ă mettre sur pied depuis Genève. Le campus de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© du Cap-Occidental, une des Ă©tapes du chercheur du DĂ©partement de mĂ©decine gĂ©nĂ©tique et dĂ©veloppement (FacultĂ© de mĂ©decine) dans son pĂ©riple de cinq semaines, est en effet secouĂ© par les ultimes rĂ©pliques de la vaste contestation estudiantine (baptisĂ©e #FeesMustFall) qui a perturbĂ© le fonctionnement de toutes les universitĂ©s du pays ces deux dernières annĂ©es. Des poubelles y ont Ă©tĂ© incendiĂ©es par des Ă©tudiants en colère pas plus tard que la semaine prĂ©cĂ©dente. On est en novembre. Les fĂŞtes de fin d’annĂ©e approchent. Peut-ĂŞtre apporteront-elles un peu d’apaisement.
« Finalement, tout s’est bien passĂ©, rassure Robert Waterhouse, qui est Ă©galement membre de l’Institut suisse de bioinformatique. J’ai pu commencer mon programme comme prĂ©vu. Le seul changement que j’ai dĂ» opĂ©rer a Ă©tĂ© de fusionner en un seul les deux modules de formation que j’avais prĂ©vus dans les ±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ©s de Johannesburg et de Pretoria et de trouver, par prĂ©caution, une salle Ă l’extĂ©rieur des campus en question. Le nombre de participants a Ă©galement Ă©tĂ© moins Ă©levĂ© que prĂ©vu parce que les manifestations ont entraĂ®nĂ© le dĂ©placement dans certaines universitĂ©s des examens de novembre Ă janvier. Dans la plupart des autres institutions, dès la mi-dĂ©cembre, c’était dĂ©jĂ les grandes vacances – en Afrique du Sud, l’annĂ©e acadĂ©mique suit l’annĂ©e civile – aussi bien pour les Ă©tudiants que pour les chercheurs. »
Le mouvement #FeesMustFall a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ© par l’annonce en octobre 2015 d’une augmentation de plus de 10 % des taxes universitaires. NĂ©e Ă l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Johannesburg, la contestation s’est ensuite rapidement rĂ©pandue Ă celle du Cap avant de toucher tous les autres Ă©tablissements du pays. La dĂ©cision du gouvernement de renoncer Ă l’augmentation a fait retomber la pression, mais celle-ci a repris l’ascenseur quelques mois plus tard lorsque le ministre de l’Éducation annonce en aoĂ»t 2016 une hausse des frais d’inscription de 8 % pour l’annĂ©e suivante, tout en laissant les universitĂ©s libres d’appliquer cette mesure Ă leur guise.
Le problème, c’est qu’une importante proportion de Sud-Africains vit d’emplois informels, c’est-à -dire sans contrat et encore moins de stabilité (le chômage pointe à 27 %). Dans ces conditions, il est souvent ardu pour les étudiants d’apporter la preuve que leur famille n’a pas les moyens de payer la taxe et qu’ils ont le droit de bénéficier d’une aide étatique. S’ils y arrivent malgré tout, mais qu’ils décrochent un petit travail en cours d’études pour vivre, ils risquent de devoir s’acquitter de la somme l’année suivante à cause de ce revenu. Certains sont alors contraints d’arrêter leurs études. De plus, selon Robert Waterhouse, les fonds destinés aux études sont, dans leur ensemble, extrêmement mal gérés.
Dans ce contexte, introduire une hausse des taxes plutĂ´t que de mettre de l’ordre dans le système universitaire et augmenter le budget national de l’éducation a suffi pour mettre le feu aux poudres. La situation s’est enflammĂ©e d’autant plus facilement que la hausse des frais d’inscription n’est pas la seule Ă provoquer la colère des Ă©tudiants. Un autre mouvement, baptisĂ© #RhodesMustFall, s’attaque en effet depuis dĂ©but 2015 dĂ©jĂ Ă la figure historique de Cecil Rhodes, symbole de la colonisation et de la suprĂ©matie blanche. SituĂ©e Ă l’entrĂ©e du campus de l’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© du Cap, la statue de l’ancien magnat des mines et fondateur de la RhodĂ©sie est dĂ©boulonnĂ©e en avril 2015.
Pour ne rien arranger, une troisième vague de contestation répondant au mot d’ordre #ScienceMustFall a également vu le jour, bien qu’elle soit plus marginale que les deux précédentes. Cette fois-ci, c’est la science elle-même qui est prise pour cible et accusée d’être trop « occidentale » et de ne pas assez intégrer les savoirs africains.
« Toutes ces attaques – contre les taxes universitaires, contre la colonisation, contre la science – sont en réalité l’expression d’un profond sentiment de frustration des étudiants sud-africains, précise Robert Waterhouse. Nelson Mandela, l’ancien président de l’Afrique du Sud et icône de la victoire contre l’Apartheid, avait promis un monde meilleur et des opportunités pour tous. Mais si les choses avancent, elles vont trop lentement pour beaucoup. Je comprends les étudiants mais au lieu de manifester contre les autorités des universités, ils devraient plutôt diriger leur colère contre le gouvernement et le président actuel Jacob Zuma. Les causes de leurs problèmes sont à chercher dans la corruption qui gangrène les hautes sphères du pays. »
Ce sont toutefois des nuisibles d’une tout autre espèce qui ont amené Robert Waterhouse en Afrique du Sud. Le chercheur, qui a grandi dans le royaume voisin du Swaziland et réalisé ses études en Angleterre avant de s’installer à Genève, est en effet spécialisé depuis plusieurs années dans le séquençage de génomes d’insectes connus pour véhiculer des pathogènes, comme les moustiques et les tiques, ou pour leur capacité à ruiner des récoltes, comme diverses chenilles et coléoptères.
« Cette passion pour les petites bêtes vient peut-être du fait que j’ai été élevé dans une ferme du Lowveld du Swaziland, là où, au milieu d’une faune très riche, les moustiques m’ont particulièrement impressionné, raconte le chercheur. Non seulement parce qu’ils piquent et créent cet insupportable vrombissement constant, mais aussi en raison du fait qu’ils transmettent la malaria, une maladie que j’ai contractée deux fois durant mon enfance. »
De nombreux chercheurs sud-africains travaillent depuis longtemps sur les insectes locaux transmettant des maladies aux humains et au bétail ou occasionnant des dommages aux cultures, en particulier celle de la vigne. Seulement, il s’agit surtout de biologistes de terrain, peu familiers avec les nouveaux outils de génomique.
« Moins de 10 % des participants Ă mon programme avaient dĂ©jĂ consultĂ© VectorBase ou utilisĂ© Apollo, souligne Robert Waterhouse. Le premier est une base de donnĂ©es incontournable et publique de gĂ©nomes d’arthropodes ayant un impact sur la santĂ© humaine et le second est le principal logiciel de visualisation, d’annotation et de correction des sĂ©quences d’ADN. Ces deux outils font partie de mon travail quotidien. Sans eux, ou des instruments similaires, il est impossible d’exploiter les gĂ©nomes produits automatiquement par desĚýmachines. »
Et, avec la baisse vertigineuse du coût du séquençage, ce n’est qu’une question de temps avant que tous les génomes des insectes propres à l’Afrique du Sud et présentant un intérêt pour la société soient entièrement séquencés. Il est donc inévitable que les biologistes du pays soient amenés à exploiter les gènes de ces animaux en raison de leur importance dans l’agriculture et la santé publique.
C’est donc pour participer à leur formation que Robert Waterhouse a mis sur pied son projet, soutenu financièrement par une bourse octroyée par l’International Society of Biocuration. Pour compléter le budget, il a également fait appel à un site spécialisé dans le financement participatif (crowdfunding) permettant aux étudiants et aux chercheurs sud-africains de participer gratuitement à ses cours et séances de travaux pratiques.
« Tout le monde a Ă©tĂ© très satisfait du programme, affirme le chercheur. L’±«˛Ôľ±±ą±đ°ů˛őľ±łŮĂ© de Pretoria m’a mĂŞme dĂ©jĂ demandĂ© de revenir en mars. Je suis invitĂ© Ă participer Ă une annotation jamboree, ce qui signifie en clair que je vais utiliser durant une semaine entière le logiciel Apollo sur le gĂ©nome d’une guĂŞpe parasite vectrice d’un champignon pathogène qu’une Ă©quipe locale est en train de sĂ©quencer. »
Anton Vos
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