L'IA de demain fera-t-elle la vaisselle

L’IA de demain sera-t-elle capable de faire la vaisselle?
Pionnier de l’intelligence artificielle (IA), Yann LeCun est à la tête du laboratoire consacré à ce domaine chez Meta, le groupe qui possède Facebook, WhatsApp et Instagram. Récipiendaire d’un doctorat honoris causa qui lui a été remis lors du Dies academicus de l’UNIGE le 11 octobre dernier, il en a profité pour livrer sa vision de l’avenir de cette technologie. Compte rendu non exhaustif.
«D’ici une décennie ou deux, avance le lauréat du prix Turing 2018, considéré comme le Nobel de l’informatique, tout un chacun se promènera avec des agents intelligents placés dans son smartphone ou ses lunettes intelligentes. Nous leur poserons des questions et ils nous aideront à résoudre des problèmes. Ce sera comme avoir en permanence une équipe de spécialistes à notre service. Ces systèmes seront indubitablement plus intelligents que nous, ce qui est une perspective assez effrayante pour pas mal de gens. Ce n’est pas mon cas, parce que j’ai toujours trouvé stimulant de travailler avec des gens plus intelligents que moi.»
Sous contrôle
Dans un monde où l’IA sera omniprésente, il faudra toutefois disposer de la certitude que ces systèmes resteront bel et bien sous le contrôle des humains. Ce qui implique que lesdits systèmes soient faciles à piloter et donc que la communication avec eux reste relativement simple.
«Tout cela nécessite des machines capables de comprendre le monde physique, qui disposent également d’une mémoire persistante, qui soient en mesure de planifier des actions complexes et de raisonner, précise Yann LeCun. Or, les systèmes actuels, qui sont basés sur une architecture de type LLM (Large language Models), en sont incapables.»
Les outils génératifs tels que ChatGPT fonctionnent en effet selon une logique assez linéaire. Entre la question qu’on lui pose et la réponse qu’il fournit, il y a un nombre d’étapes de calcul fixe quelle que soit la complexité du problème posé. Ces systèmes peuvent rivaliser avec un avocat lorsqu’il s’agit de passer des examens au barreau, mais sont inopérants pour débarrasser la table ou faire la vaisselle.
«Le volume de données qu’un enfant de 4 ans a vu est du même ordre de grandeur que celui assimilé par le plus grand des LLM actuels, précise le spécialiste. Mais la grande différence, c’est qu’un enfant est capable d’apprendre des concepts assez complexes en observant le monde qui l’entoure. Très tôt dans son existence, il peut distinguer une table d’une chaise ou identifier ce qui est stable et ce qui peut tomber. La grande question est donc de savoir comment faire en sorte que les machines parviennent à appréhender le fonctionnement du monde physique de la même manière que les enfants.»
Selon Yann LeCun, la solution passe par le recours à une nouvelle forme d’architecture informatique baptisée JEPA (Joint Embedding Predictive Architecture). Un système novateur sur lequel les ingénieurs de Meta travaillent aujourd’hui d’arrache-pied. L’idée, qui bute encore sur certains défis techniques, consiste à nourrir l’IA non plus avec du texte mais avec des images et, surtout, des vidéos permettant au système d’élaborer une représentation du monde abstraite à partir de laquelle il sera à même de prévoir les conséquences de ses actions et d’élaborer des plans pour atteindre des objectifs précis.
Progrès considérable «Les résultats préliminaires que nous avons obtenus montrent que les IA de type JEPA sont dotées d’un certain sens commun et qu’elles sont notamment capables de distinguer ce qui est possible de ce qui est impossible dans la réalité, commente Yann LeCun. C’est un progrès considérable.»
Pas question pour autant que ces connaissances restent confinées dans les mains de quelques entreprises de la côte ouest des États-Unis, ce qui constituerait indéniablement une menace pour la démocratie, selon le chercheur. Pour assurer l’universalité de l’accès à ces technologies appelées à être utilisées dans la majorité de nos interactions avec le monde numérique dans un futur pas si lointain, Yann LeCun plaide donc pour un recours massif aux plateformes open source. Un vœu qui risque de se heurter à des réglementations toujours plus restrictives, notamment sur le territoire européen.