À Saqqara, un médecin sort de près de 5000 ans d'oubli

La campagne 2024 de la mission archéologique franco-suisse de Saqqara, codirigée par Philippe Collombert, a mis au jour, un peu par hasard, une tombe extrêmement bien conservée datant de l’Ancien empire.
«C’est magnifique. En vingt ans de fouilles sur ce site, je n’avais jamais vu de choses aussi intactes et bien conservées que cette tombe-là .» Codirecteur de la mission archéologique franco-suisse de Saqqara et professeur au sein de l’Unité d’égyptologie et copte de la Faculté des lettres, Philippe Collombert peut avoir le sourire. Même si elle ne bouleversera pas les connaissances dont on dispose sur l’Égypte ancienne, la découverte faite par son équipe en décembre 2024 constitue en effet une rareté: une tombe de l’Ancien Empire (environ 2700 à 2200 avant notre ère), certes relativement modeste et vidée de la totalité de son matériel funéraire, mais dont le décor a échappé à l’usure du temps à la suite d’un improbable concours de circonstances.
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Le propriétaire des lieux, dont le sarcophage et la dépouille ont disparu, se nomme Tetinebefou. Il a vécu sous le règne d’un successeur plus ou moins proche de Pépy Ier (2289 à 2255 av. J.-C.), aucun indice ne permettant une datation précise, et portait les titres de «doyen des médecins du palais royal», de «grand des dentistes», de «directeur des plantes médicinales», ainsi que «de prêtre et de magicien de la déesse Serket».
Chargé du système de soins de la région de Saqqara (une vaste nécropole située à une trentaine de kilomètres au sud du Caire), le médecin-magicien – les deux étant intimement liés au temps des pharaons – devait pratiquer la chirurgie non invasive, la dentisterie et un large éventail de soins pharmacologiques comprenant notamment le traitement des piqûres d’animaux et d’insectes venimeux. Typiques des sépultures de cette époque, les décors qui ornent sa tombe ne donnent pas davantage de renseignements sur le personnage. Ils offrent en revanche un rare aperçu de la vie quotidienne et des pratiques culturelles de la période concernée.
Travail d’orfèvre
«On connaissait déjà une quinzaine de tombes du même type sur le site de Saqqara, précise Philippe Collombert. La plupart datent du règne de Pépy II, qui est une période assez troublée. Les éléments de décor qu’on y a trouvés ne sont pas très soignés. Ils sont réalisés uniquement à la peinture et tracés à la va-vite. Dans le cas de Tetinebefou, en revanche, les motifs ont été gravés dans la pierre avant d’être colorés avec beaucoup de soin et un grand souci du détail, certaines mentions de son nom ne faisant pas plus de 5 millimètres de hauteur.»
Autre détail remarquable, le plafond de la pièce, dont la couche de peinture posée à même le calcaire reproduit les veines du granit rouge, ce qui suggère que Tetinebefou avait obtenu l’autorisation d’imiter cette matière noble d’ordinaire réservée aux tombes de l’élite.
Un travail d’orfèvre donc, dont la remarquable conservation tient au fait que les pilleurs qui ont visité la sépulture s’intéressaient uniquement aux objets précieux composant le matériel funéraire. Après l’avoir déplacé et s’être introduit sous la dalle protégeant le sarcophage du défunt et constituant le sol de la pièce, ils ont donc laissé intacte la fausse porte donnant accès au tombeau et n’ont pas touché non plus aux murs intérieurs de l’édifice. Les restes du mastaba ont ensuite été recouverts par un énorme bloc de pierre arrivé là on ne sait trop comment et qui a mystérieusement échappé à l’appétit des carriers, laissant la dernière demeure de Tetinebefou scellée jusqu’à l’arrivée de l’équipe des archéologues franco-suisses.
Le mystère «Ouni»
Ces derniers auraient d’ailleurs très bien pu passer à côté de leur trouvaille, qui n’était pas l’objectif principal de leur dernière campagne de fouilles. Car si, depuis 2022, Philippe Collombert et ses collègues focalisent leur attention sur le «3e cercle» de la nécropole de Pépy Ier, où sont localisées les tombes des notables du royaume, c’est d’abord et surtout pour tenter d’en apprendre plus sur un certain Ouni.
Vizir de son état, ce personnage est loin d’être un inconnu pour les égyptologues. Le récit de son existence, considéré comme l’autobiographie la plus célèbre de l’Ancien Empire, a en effet été exhumé par Auguste Mariette dès 1860 sur le site d’Abydos, à quelque 500 kilomètres plus au sud. Il figurait sur une stèle ornant la tombe du vizir, qui a probablement été dépêché sur place pour gérer l’administration de la région, comme le suggère son titre principal de «chef du sud».
Or, il se trouve qu’en 2012, Philippe Collombert et ses collègues ont découvert une seconde version du même texte sur le site de Saqqara alors qu’ils étaient affairés à dégager le mur d’enceinte de la reine Béhénou (épouse de Pépy Ier ou de Pépy II, lire Campus 99). Dix ans plus tard, ils ont mis au jour les restes d’un mastaba également à son nom, laissant penser qu’Ouni se serait fait construire deux tombes différentes, ce qui constituerait un précédent tout à fait unique pour cette période.
En poussant plus loin leurs investigations, les archéologues ont fini par tomber sur les restes d’une fausse porte se trouvant à l’aplomb d’un puits d’une dizaine de mètres conduisant à la tombe du défunt et qui reste à dégager pour percer le mystère «Ouni» et déterminer l’usage de cette seconde sépulture qui, selon les indices récoltés par Philippe Collombert et ses collègues, aurait en réalité pu servir de dernière demeure à un membre de la fratrie d’Ouni portant le même patronyme.
Si cela n’a pas encore été fait, c’est parce que dans l’intervalle, les scientifiques ont débusqué deux «squatteurs» dont les tombeaux ont été aménagés sur le tracé même de la rue séparant la nécropole des reines de celle des notables. Plus tardifs que la sépulture d’Ouni et construits en brique crue, ces deux mastabas n’avaient, a priori, rien d’extraordinaire, les autres sépultures de ce type découvertes dans la nécropole de Pépy Ier étant dénuées de matériel et de décorations. Par acquit de conscience, les archéologues y ont tout de même jeté un œil. Après la fausse porte quasiment intacte, ils ont rapidement trouvé un puits qui, après excavation, a révélé un linteau de calcaire orné de beaux et grands hiéroglyphes répétant le nom et les titres de Tetinebefou.
Une fois la fouille du tombeau terminée, Philippe Collombert et son équipe ont pris le soin de protéger les précieux décors avant de refermer les lieux afin d’éviter toute intrusion intempestive. Il sera tout de même possible au public d’avoir une idée de ce qui s’y trouve, une équipe d’Arte ayant suivi l’ensemble de la campagne 2024 pour les besoins d’un documentaire de 90 minutes dont la diffusion est prévue en 2026.
Vincent Monnet