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Naturisme et éducation nouvelle
Seule une pédagogie respectueuse de la « nature propre » de chaque enfant – favorisant le développement harmonieux de toutes ses potentialités – garantirait une humanité pacifiée. Telle est la conviction partagée d’une multitude de pédagogues qui en diverses régions du globe s’attachent à combattre le « formalisme scolaire » ambiant, dû selon eux à la scolarisation galopante de la fin du 19e siècle occidental, sous l’égide de l’Etat. Alors imprégnées du modèle des sciences naturelles et du darwinisme social, de nouvelles sciences de l’homme partagent l’espoir que la connaissance du développement naturel de l’enfance permette de connaître le passé de l’Homme, d’agir sur le présent et d’orienter l’avenir de l’humanité. Dès la Grande Guerre, cette « nébuleuse réformatrice » est relayée par des associations et ligues pacifistes, féministes, hygiénistes, convaincues qu’une révolution éducative universalisable prenant en compte les aptitudes naturelles de l’enfance (créativité, spontanéité, vitalité) pourrait bâtir une humanité réconciliée avec elle-même et dès lors plus solidaire.
Ce « retour à la nature » – une forme de rousseauisme naturaliste – revêt des configurations diverses et s’expérimente dès l’aube du 20e siècle dans des classes, écoles, et même systèmes éducatifs tout entier. Afin d’en renforcer le dynamisme, ses porte-bannières se regroupent en ligues internationales. Parmi celles-ci, trois en Europe se distinguent par les vertus conférées à la nature – à l’eau, l’air, le soleil et même aux astres – sur les corps, esprits et intellects de la jeunesse : le Bureau international des écoles nouvelles fondé en 1899, le Bureau international d’écoles en plein air en 1920 et la Ligue internationale d’éducation nouvelle en 1923.
Certaines figures, à l’instar du Genevois Adolphe Ferrière, du Vaudois Jean Dupertuis, de la Française Alice Jouenne, incarnent alors ces causes. Une reconstruction profonde des conditions d’éducation les motive dans cette découverte des diverses traditions médicales et sanitaires à l’œuvre dans le naturisme : les milieux éducatifs deviendraient ainsi plus hospitaliers, prenant en compte la santé des enfants et des adultes afin de contribuer à une réforme des modes de vies et des mentalités. La création dans les années 1930 par les pédagogues Elise et Célestin Freinet d’une école nouvelle, prolétarienne et naturiste, témoigne de la radicalité de certaines initiatives. Dans une école aménagée sur les hauteurs de Vence, dans le Sud de la France, le « milieu paysager » (Go) est une des composantes de la pédagogie locale. L’enjeu : « régénérer » l’organisme des enfants malades issus du prolétariat en créant un milieu éducatif naturel pour compenser des conditions de vie désastreuses et, ce faisant, favoriser l’action pédagogique; plus globalement, repenser les relations entre l’être humain, la nature et la technique.
Si l’Education Nouvelle s’est souvent distinguée par des expériences originales en marges des institutions publiques, ces tentatives de lier école, hygiène et nature ont parfois réussi à se faire une place institutionnelle ; en France aussi. C’est le cas des écoles de plein air, que promeut la Ligue française d’éducation au plein air créée en 1906, dont les causes connaissent une large audience lors du premier Congrès international des écoles de plein air, à Paris même, en 1922. S’y cristallise la rencontre d’acteurs sociaux fort différents : parmi ceux-ci, pouvoirs publics, philanthropes, réseaux hygiénistes et médicaux, associations enseignantes, parfois même syndicats ouvriers et leurs antennes libertaires. Des expériences font référence dès l’aube du « siècle de l’enfant » (Ellen Key) : la Waldschule (école de forêt) créée à Charlottenburg en Allemagne ; les Open-Air school d’Angleterre et des Etats-Unis ; la Raggio di sole de Padoue; diverses cliniques et écoles au soleil, comme celles du Docteur Rollier dans les Préalpes suisses; la plus célèbre en France, l’Ecole de plein air de Suresnes est fondée quant à elle en 1935.
Ces initiatives se dénombreraient par milliers, notent Châtelet, Lerch et Luc (2001) dans leur exceptionnelle enquête collective sur l’Europe. Les œuvres de plein air s’inscrivent dans un ensemble plus vaste, dans lequel co-existent les colonies et camps de vacances, les mouvements scouts, des sanatoriums et autres préventoriums. Largement conditionné par les politiques de prévention contre la tuberculose, fléau sanitaire majeur de l’entre-deux-guerres, elles sont parfois animées par un véritable projet pédagogique, incluant leçons de choses, observations sur le terrain, jardinage et élevage de petit bétail, activités physiques et sportives, voyages et marches en montagne. Contemplation de l’environnement et quête de bien-être se couplent avec une incitation à l’activité, le soin du corps et le sens de l’effort. Malgré tout un processus d’institutionnalisation et de structuration, à l’image de la création en France du certificat d’aptitude à l’enseignement dans les écoles de plein air (1939), ces aventures pédagogiques disparaissent progressivement du devant de la scène.
Informations complémentaires
Les documents présentés sont extraits du fonds Adolphe Ferrière dont l'inventaire est consultable .
Des photographies sont disponibles .
Pour en savoir plus

En 2018, Xavier Riondet, Rita Hofstetter et Henri Louis Go publient .
Béatrice Haenggeli-Jenni. (1920-1940). Bern : Peter Lang, 2017.
